Heskis : “Je pense que c’est quand tu es le plus personnel que tu es le plus universel”
Il y a maintenant près d’un mois qu’Heskis a dévoilé son tout premier album Plot Twist. À l’occasion de cette sortie, (+33)RAP s’est entretenu avec le rappeur nantais afin d’aborder la création de ce projet mais aussi de sa déjà longue carrière.
Plot Twist, 12 titres, 33 minutes. Si le format n’a rien de surprenant, c’est bien dans le fond que ce premier album est prenant. En même temps, difficile de ne pas faire dans toutes les émotions quand on a des choses à dire. De sa première claque rap en 2002 devant « Les jeunes de l’univers » de Rocca sur la chaîne ‘Zik, au collectif 5 Majeur avec Nekfeu, Kéroué, Vidji et Hunam en 2011, à son premier projet GG Allin EP en 2017, en passant par sa pause du rap entre 2018 et 2021, des choses s’en sont passées. Le rappeur n’a d’ailleurs rien voulu omettre de ce parcours dans ce premier album, souhaitant à tout prix être le plus sincère possible et faire du « chemin en même temps que sa musique ». C’est la raison principale pour laquelle en juin 2022 Heskis dévoile son dernier EP Holla :
“Quand j’ai repris la musique je me suis mis à bosser sur Plot Twist , projet qui m’a pris du temps à travailler, aussi bien au niveau des sons, que de l’histoire que je voulais raconter, que des clips. Donc pour faire patienter on a repoussé la sortie et je me suis enfermé en studio pour faire un 4 titres et tout sortir d’un coup. En est né Holla.”
Si on part du point de départ, ce projet ça fait 3 ans. Au moment où je l’ai commencé je faisais la pire dépression de ma vie et je pensais que la musique c’était fini.
Bien que Plot Twist semble avoir un véritable fil rouge qui se construit au fur et à mesure des titres, son auteur n’a pas toujours été convaincu de l’idée d’album :
“Pour être tout à fait honnête, Plot Twist deux semaines avant de le sortir je ne savais pas si c’était un album, un projet ou un EP. Je me suis retrouvé en studio avec Loud, Lary et Ajust, artistes québécois qui m’ont beaucoup influencé musicalement, et je leur ai fait écouter l’album. C’était un grand moment pour moi parce que je fais écouter mon disque aux gars qui m’ont donné envie de faire ce truc. Et en fait pendant l’écoute ils se prennent le projet, donc c’est un truc de fou pour moi, et en cours d’écoute Loud me dit ‘En fait c’est un album que t’as fait’. J’y ai repensé quelques jours après, et si ça ce n’est pas un album, alors qu’est-ce que c’est un album ? ”
Une exigence personnelle
Très spontané et personnel dans sa démarche musicale, Heskis explique ne pas réellement avoir subi une pression à la sortie de son premier album, hormis une pression personnelle. Réaliste à l’idée que peu sont ceux qui l’attendaient au tournant, le rappeur affirme que cet album a dans un premier temps été conçu pour lui en espérant que ses auditeurs se retrouvent dedans :
“Quand tu parles vraiment de ta vie, les gens peuvent grave se retrouver dedans. D’autant plus que je pense que c’est quand tu es le plus personnel que tu es le plus universel. Des sujets comme la dépression, les crises d’angoisse c’est exactement le cas. Du coup peu de pression pour cette sortie, ce qui était difficile c’est de moi me satisfaire.”
Et effectivement lorsque l’on est perfectionniste comme Heskis, clôturer son premier album après 20 ans de rap peut être un exercice réellement compliqué et frustrant. D’autant plus quand on est un artiste impliqué dans sa chaque étape de sa direction artistique. Être présent lors de chaque session mix de ses titres, être en co-production sur toutes ses instrus ou encore être à la réalisation de beaucoup de ses clips est glorifiant pour un rappeur, mais parfois vouloir décliner sa vision sur tous les supports ne fluidifie pas et complexifie même le processus. C’est une des raisons de la sortie tardive de Plot Twist. Interviewé par notre média en août 2022, Heskis expliquait déjà travailler sur cet album depuis plus d’1 an. Nous en avons profité pour revenir sur la construction du projet :
“Si on part du point de départ, ce projet ça fait 3 ans. Au moment où je l’ai commencé je faisais la pire dépression de ma vie et je pensais que la musique c’était fini. Il a fallu que moi je fasse du chemin en même temps que ma musique. C’est ça qui fait que ça a été long mais à la fois c’est ce qui a créé la richesse du projet. J’avais envie de créer un morceau de vie et de réellement le raconter, du début à la fin. Pendant ces années j’ai fait les titres de Plot Twist, mais j’ai aussi beaucoup d’autres titres de côté pour la suite, mais il y a eu beaucoup de crash test, d’expériences où je sors de ma zone de confort.”
renaissance personelle
Passé par une forte dépression, c’est son retour dans le rap en 2021 qui lui a inspiré le nom de cet album. Un retour peut être inattendu pour certains fans, mais avant tout inattendu pour lui-même :
“Un plot twist c’est un retournement de situation inattendu à la fin d’un film, et c’est ce que j’ai vécu. Il y a quelques années j’ai fait une énorme dépression, je pensais que tout était terminé pour moi. J’avais fait une croix sur beaucoup de choses. Et j’ai malgré moi créé le retournement de situation que j’attendais, à un moment où je ne me pensais même pas capable de le faire. Ça s’est fait grâce à des rencontres : celles de GVRVGIST et de Plae Casi via mon frérot Joey Larsé. C’est à partir de là que je me suis remis à bosser et que j’ai récupéré l’envie de revenir. Je trouvais ça important de renvoyer ce message et j’espérais que ça parle à d’autres personnes. Je voulais impulser l’idée de : tu peux créer le retournement de situation. Et ce retournement qu’on attend tous, c’est nous-même. Personne n’est mieux placé que soi-même pour changer la trajectoire des choses.”
Pour pouvoir créer ce changement, Heskis explique qu’il faut de la détermination mais surtout accepter que cela passe par du temps. Cette notion du temps est pour sûr une des thématiques centrales de cet album.
Et si le temps fait souvent preuve de bienveillance concernant la santé mentale, il peut aussi être vecteur de nostalgie :
“Le temps c’est sûrement la chose qui me stress le plus. D’autant plus qu’il y a eu un moment où je me suis rendu compte que j’avais perdu du temps dans ma vie et que j’avais laissé filer des années. C’est comme s’il y avait une dizaine d’années de ma vie où je suis resté en stand-by parce que je n’avais pas un bon rythme de vie, parce que je n’ai pas été dans des bonnes dispositions psychologiques. Pendant trop longtemps j’ai été spectateur de ma life. J’ai réalisé que j’avais dormi sur moi-même, sur mes ambitions et sur mes rêves. Et justement cette phobie du temps qui passe que j’ai, je peux plus faire style que je n’en ai rien à foutre alors que je sens que j’ai des choses à accomplir.”
Dans le propos, Heskis affirme que c’est son projet le plus sincère voire cru. Mais ce qui différencie Plot Twist et le très noir GG Allin EP, c’est l’acceptation personnelle et le souhait de faire “rentrer de la lumière dans ce constat d’échec global du monde qui nous entoure”. Très largement plus en accord avec lui-même, le Nantais dépeint un environnement sombre avec un besoin d’être dans un excès de sincérité. Plot Twist aborde sans aucune limite des sujets tels que les médicaments ou encore le suicide. Heskis avoue d’ailleurs s’être demandé après avoir bouclé le titre Dans les cordes s’il ne fallait pas s’imposer des barrières dans ses propos.
Un arsenal de références
En tant que grand rimeur et scientifique des placements, Heskis nourrit son auditeur d’une multitude de références tout au long de l’écoute. Rien que dans son titre Progrès, le rappeur place un big-up à Cam’Ron : “J’viens niquer des daronnes, sapé tout en rose comme Killa Cam” mais aussi à Roc Marciano : “J’fais des rêves de Benz, des cauchemars de Clio” en lien avec sa très connue phase : “I got Lamborghini dreams. Nissan nightmares”. Des références très significatives pour lui quand on sait l’importance qu’a eue le rap new-yorkais dans sa musique :
“Le jour où je tombe sur Roc Marciano, je me prends la plus grosse gifle de ma vie. Quelques années après il y a Griselda qui arrive avec Conway The Machine, avec Westside Gunn, et les autres qu’on connait, ça m’a parlé à un degré… Ça a fait écho en moi pour 1000 raisons. Même à l’époque avec 5 Majeur c’était déjà ce qu’on essayait de faire, d’une autre manière. On a toujours été dans ce truc de rap technique, avec une fascination pour les gros rimeurs New-Yorkais avec des gros schémas de rimes. C’est la science du rap en fait. Et aujourd’hui ça fait plus forcément sens. Il y a des titres de Roc Marciano typiquement ça fait partie des trucs les plus fous que j’ai écouté de ma vie, mais si je fais écouter ça à des moldus, ils ne vont rien comprendre. Ils vont trouver ça mou et plat. Mais si tu as l’oreille éduquée, c’est incontournable.”
Véritable fan du 7ème art, c’est aussi l’univers cinématographique que l’on retrouve beaucoup dans cet album. Du nom du projet à sa cover illustrant un ciné-parc, mais aussi dans les textes. Dès l’introduction Heskis nous place dans son univers :
“J’ai un rapport au cinéma assez boulimique. Je regarde 1 à 2 films tous les jours depuis une quinzaine d’années. Étant insomniaque ça occupe ! La Haine est probablement un de mes films préférés avec Ghost Dog de Jarmusch. Et dernièrement je me refais des classiques. Il y a un film qui s’appelle ‘Les brasiers de la colère’ avec un jeu d’acteur de Christian Bale absolument troublant.”
Une autre des grandes références de cet album, c’est le sample de Népal dans le titre Le nom des fleurs. Un titre très fort du projet que le défunt rappeur de la 75ème session clôture avec “Les temps changent, on connait plus l’nom des fleurs”, phase présente dans son morceau Skyclub. Heskis souligne la démarche spontanée de cet hommage :
“Ça s’est fait spontanément. J’ai commencé à écrire ce morceau et au fur et à mesure des rimes j’ai cette phrase qui vient en tête et je crois que c’est une de mes phrases préférées de tous les temps. Cette phrase elle est restée dans ma tête pendant des années. Je n’ai même pas décidé de rendre un hommage à Népal. Quand j’ai écrit cette phrase je ne voulais pas me l’approprier et faire croire que c’est moi qui l’aie écrit. Du coup on a mis le sample sur le refrain. Népal était tout simplement un de mes artistes préférés et un humain pour qui j’avais un respect et une admiration infinie. Mais clairement cet hommage n’est pas réfléchi”.
Et effectivement, cette phrase a un sens particulier dans cet album où Heskis aborde le temps qui passe et nous décrit le film de sa vie.
Crédit photo à la une : @jeunedoh