Rencontre avec 2Key, à l’occasion de la sortie de son album “T’as voulu la rue”

Dans le cadre de la sortie de son premier album T’as voulu la rue, 2Key s’est entretenu avec (+33)Rap, l’occasion pour lui de revenir sur la conception de l’opus, mais aussi son parcours, ses influences et ses aspirations pour la suite. Entretien.

Tu es actuellement en période de promo pour le projet, c’est une première pour toi. Comment tu vis ça ?

Je n’ai pas forcément l’habitude mais je ne me prends pas la tête. Je n’ai pas de problème avec le fait de parler tout ça, je ne suis pas quelqu’un de trop timide.

Tu sors des morceaux depuis plus d’un an, mais tu as commencé la musique bien avant. Quelle fut ta porte d’entrée ?

J’ai commencé le son il y a huit ans. Un peu comme partout, j’ai vu les grands rapper, ça m’a donné envie. Au début, on en faisait avec une bande de potes sans prendre le truc trop au sérieux, jusqu’au jour où moi et Marvin, un gars à moi, avons décidé de nous y mettre plus sérieusement. On a alors commencé à enregistrer quelques sons. Et même si aujourd’hui, les aléas de la vie ont fait qu’il n’est plus du tout dans le rap, on est toujours en contact, ça reste mon frère.

Arrive donc le moment où tu te lances en solo. Est-ce que t’avais pour ambition de faire carrière dans la musique à cette époque ?

Je me disais que rien n’était acquis, mais j’avais ce désir de me lancer. J’aime la musique, et comme je le dis souvent, si on fait un truc, c’est pour le faire bien. J’ai la chance d’être bon dans ce domaine, donc je vais y aller à fond, surtout avec tous les frères qui me donnent de la force.

C’est intéressant, parce que paradoxalement, on entend souvent que, dans les quartiers, certaines personnes peuvent “porter l’œil”. Ce n’est pas des problèmes auxquels vous, vous avez fait face ?

Du tout. À l’époque, c’était nos gars qui nous encourageaient à aller au studio. Et puis, mon cercle est très restreint, ce qui veut dire que les gens qui me soutenaient hier sont encore là aujourd’hui.

Arrive le jour où tu sors ton premier morceau clippé. Comment tu te sentais pendant le tournage puis à l’aube de la sortie ce premier titre ?

Très à l’aise. Comme je t’ai dit, j’étais entouré de mes gars, dans mon quartier, et tous connaissaient le son. Même si, je dois avouer qu’au moment de la sortie, j’avais cette petite appréhension. Et puis, comme je le disais plus tôt, ce n’était pas vraiment sérieux à l’époque. On ne payait même pas les clips, c’était un grand de chez nous qui les mettait sur sa page. Le morceau avait fait un peu de bruit, donc ça a commencé à prendre petit à petit.

À quel moment te rends-tu compte que ta musique n’est pas écoutée que dans ton quartier, mais que tu commences à t’exporter ?

C’est justement avec ce projet plus sérieux que je m’en rends compte. Le partage, les médias et le fait que j’ai réellement décidé de m’impliquer dans la musique sont des facteurs importants. Avant, ça m’était égal qu’on m’écoute ou non, mais maintenant il y a une plus grande pression, mais j’ai de bons retours.

À quel moment tu t’es senti prêt à sortir un projet ?

En vérité, je me suis toujours senti prêt. Le projet vient de loin, il s’est construit dès lors que j’ai commencé la musique. Le fait que les gens te disent que tu es bon, que tu es écouté, ça te donne des envies de grandeur, et j’ai rapidement voulu sortir ce projet. Seulement voilà, il y a eu les aléas de la vie et je me suis retrouvé enfermé. Pour te dire, le nom de mon projet T’as voulu la rue était décidé depuis l’époque où j’ai commencé à rapper avec mes gars au quartier.

À quel moment tu t’es senti prêt à propos de ton nom d’artiste, pourquoi 2Key ?

Tu connais le fondateur des Creeps Tookie Williams ? Il y avait un film à ce propos, Redemption, dans lequel jouait Jamie Foxx. Quand je l’ai vu, j’ai tout de suite aimé cette atmosphère “gang”. L’idée de créer quelque chose de grand me parlait, comme leur manière de réfléchir sur ce que tu fais de bon ou de mauvais en tant qu’homme. Donc 2Key, c’est plus par rapport au film qu’au gang en lui-même.

« Un de mes managers est un gars à Freeze Corleone, Flem, et la connexion s’est faite comme ça. J’ai eu un vrai feeling avec les deux, ce sont vraiment de bonnes personnes. »

Rentrons plus dans le vif du sujet et parlons du projet. Tu as donc décidé de l’appeler t’as voulu la rue, et en écoutant le projet, on a comme l’impression que ce titre est une sorte de message que tu t’adresses à toi-même. Tu as d’ailleurs une phrase qui résume ce propos : “si je savais dans quoi je me serais fourré, je l’aurais fait quand même”.

C’est exactement ça. Dans tout ce projet-là, je me parle à moi-même. Je pense que dans la vie, tu fais tes propres choix. Il y a bien sûr des paramètres indépendants de ta volonté, mais tu sais toujours approximativement dans quoi tu t’embarques. 

C’est une façon intéressante d’aborder le sujet, parce qu’on a souvent tendance à victimiser le fait d’avoir fait des erreurs dans la rue étant plus jeune, tandis que toi, tu assumes tes choix et tu le dis.

Tout à fait. T’as voulu la rue, c’est à toi d’en assumer les frais, c’est toi qui a fait tes propres choix, donc il faut arrêter de remettre la faute sur la misère ou je ne sais quoi. Tu as choisi la rue comme tu aurais pu choisir de trouver un travail [rire]. Ici, je me parle à moi-même, mais aussi à ceux dans la même situation que moi. Je ne suis bien sûr pas là pour faire le moralisateur, mais je parle en fonction de mon vécu. 

Tu as deux featurings sur le projet, avec Jey Brownie et Freeze corleone. Comment s’est faite la connexion ?

J’ai la maison de disque, mais également un label : Humble Record. Un de mes managers est un gars à Freeze Corleone, Flem, et la connexion s’est faite comme ça. J’ai eu un vrai feeling avec les deux, ce sont vraiment de bonnes personnes.

Revenons sur tes influences. Qui est-ce que tu as écouté étant plus jeune ?

J’ai grandi avec mon grand frère, qui était très R&B, il n’écoutait pas trop de rap. Et puis, en tant que Congolais et Haïtien, la musique tournait en boucle à la maison. Après, en grandissant, j’ai beaucoup écouté des artistes comme Still Fresh, Sadek, S.Pri Noir, Niro, Hayce Lemsi, Volts Face ou encore Fababy. Lorsque la Booska-Tape est arrivée, ça nous a véritablement marqués.

Puisque tu es assez fasciné par les gangs et toute l’atmosphère qui l’accompagne, est-ce que la drill s’est imposée à toi comme une évidence ?

Honnêtement… oui ! [rire] Lorsque la drill est arrivée et que j’ai entendu Pop Smoke, j’ai directement compris la puissance du phénomène. C’est un gars à moi du Canada qui m’avait entendu rapper et qui m’avait conseillé de me mettre à la drill à cette époque. Je ne connaissais pas du tout ce courant, donc je lui avais demandé de m’envoyer quelques sons à écouter. Quand j’ai entendu Flexin’ de Pop Smoke, j’ai compris que c’était exactement ce qu’il me fallait, c’est-à-dire des instrumentales qui ambiancent mais qui te permettent de rester gang dans les textes.

En écoutant le projet, on sent une certaine versatilité entre ta faculté à faire du rap assez “cru”, mais également un goût prononcé pour la mélodie.

Quand on a commencé avec Marvin, lui avait une voix rocailleuse, alors que de mon côté j’essayais déjà d’apporter ce côté mélo. Bien sûr je rappais, mais je faisais aussi les refrains. Plus largement, comme je l’ai déjà dit, j’adapte ma musique en fonction de mon mood et des épreuves de la vie. Et puis, ma mère et mon frère chantaient pas mal, que ce soit en créole haïtien ou en lingala, donc j’ai naturellement grandi avec cet attrait pour les mélodies. 

« Les rappeurs de maintenant représentent plus leurs villes que leur département. Avant, tu disais que tu venais du 93, sans préciser que tu venais de Sevran »

Tu as grandi dans le 93, à Pantin et la Courneuve. est-ce que le mouvement 93 t’a aussi influencé ?

Les rappeurs de maintenant représentent plus leurs villes que leur département. Avant, tu disais que tu venais du 93, sans préciser que tu venais de Sevran par exemple. Après, ça influe forcément mes textes parce que c’est dans mon ADN, mais de là à dire que ça m’a influencé en tant qu’artiste, je ne pense pas. On n’enlève pas la bannière 93, mais on essaye au contraire de toujours montrer la mentalité 93.

Est-ce qu’aujourd’hui, tu considères que la musique t’a aidé à te trouver un peu plus ?

Pas forcément. Je pense que j’ai eu le temps de me trouver avant ça. Je pense justement que pour faire de la bonne musique, il faut se connaître soi-même. Si tu ne te connais pas toi-même, qu’est-ce que tu vas raconter ? C’est pour cette raison que certains mentent. Si tu ne t’es pas bien trouvé, ou que tu ne te connais pas vraiment, tu vas dire des choses sans aller jusqu’au bout. 

Quelle suite pour toi désormais ?

Maintenant, il faut aller chercher plus loin. C’est comme du sport, il va falloir travailler, ne pas se reposer sur ses acquis. C’est mon ton premier projet donc le but n’est vraiment pas de flamber, rien ne change dans ma vie. Je serais content lorsque j’aurais sorti cinq projets. À ce moment-là je pourrais faire un bilan, mais pour l’instant je sais où je vais, et c’est ce qui compte pour moi.