Quand le rap et la géographie réunissent Lyon et Montréal !
Liées par la provincialisation de leur musique ainsi que par leur situation géographique, Montréal et Lyon sont deux villes aux identités proches. Reliés par la Latitude 45, les deux cités regorgent également toutes deux de nombreux talents dans la musique, notamment rap. Des similitudes qui ont permis la naissance d’un projet musical liant en featuring des artistes Québécois et Lyonnais. Nous avons eu l’occasion de rencontrer quelques acteurs de ce projet en marge de la release party du second E.P « Latitude 45 Volume 2 ».
Rap et Géographie
La naissance du projet « Latitude 45 » voit le jour dans une période sombre pour les acteurs de la culture : la pandémie de Covid. Tarik Bouzid, attaché presse de Mediatone, une association qui organise des concerts à Lyon, décide pourtant de lancer son idée à laquelle il réfléchit depuis quelques semaines : créer le premier projet rap reliant Montréal à Lyon. Après plusieurs échanges avec le reste de son association, l’idée prend forme.
Un élément va totalement changer la donne durant le développement de ce pari ambitieux : la Mairie de Lyon cherche à faire rayonner la francophonie à l’étranger. Du pain béni pour ces fans de peura’ qui ne pensent qu’à une seule chose : mettre en avant leur ville et ses artistes. Pour Tarik, le destin fait bien les choses : « On s’est posé la question de comment pouvoir continuer à faire travailler les artistes émergents qui ont peu d’accès aux grosses entités musicales et à l’industrie. On voulait créer du lien, faire bouger les artistes et créer des connexions. Au même moment, la Ville de Lyon, la Métropole de Lyon et l’Institut Français ont lancé un appel à projet. Il a fallu 2/3 jours pour que mon collègue Ludovic m’incite à développer ce projet de mixtape commune Lyon/Montréal ».
Une boucle de mails, des documents échangés via Google Drive et une centaine d’appels plus tard : Mediatone crée son équipe depuis Lyon. L’équipe s’entoure d’un promoteur de concerts : High-Lo ; et d’un label équipé d’un studio de musique : Galant Records. Les trois entités ne font désormais plus qu’une. Ils décident d’aller toquer à la porte de leurs homologues canadiens et après quelques recherches et visio’ par Zoom, Tarik rencontre Hydrophonik Records, label montréalais indépendant de hip-hop.
Lyon et Montréal VS Le reste du Monde ?
Si un projet comme Latitude 45 a vu le jour en 2020, il relève d’un besoin symptomatique pour ces deux villes de prouver constamment leur existence sur la carte du rap francophone. Pour Lyon comme pour Montréal, la scène hip-hop se concentre autour de quelques acteurs qui portent un mouvement sur leurs épaules : Enima, Izzy-S, VT ou encore Ashe22, Zeguerre et La F… Tous ces artistes aux ambiances trap ont été obligés de s’ouvrir à un marché plus large que leur simple région. Un pari risqué mais qui s’est avéré payant.
Comme nous le témoigne Gauthier, fondateur d’Hydrophonik, label montréalais de hip-hop : « Le moov d’Enima de venir en France et d’exporter sa musique, surtout dans le trap et dans la musique street, il est logique. C’est de l’exportation., c’est simplement montrer ce qu’il se passe chez nous. C’est nécessaire pour le Québec d’en sortir. On reste une petite communauté écoutée par une niche comparé à la France et ses millions d’auditeurs ».
« Montréal est un peu à la marge, entre NY et Toronto »
Ce qui fait l’essence même du projet Latitude 45, c’est le besoin d’exister face aux grosses entités parisiennes, face aux machines qui se trouvent à côté et contre qui il est difficile de lutter. Tarik et Gauthier trouvent beaucoup de similitudes entre le rap québécois et celui de Lyon : « Je dirais que ce sont des villes similaires dans leur développement, de villes à l’écart. À Lyon, on est à l’écart de Paris et Marseille, tout comme Montréal et la francophonie du Canada est à l’écart de Paris et des USA » explique Tarik.
« Comme l’a dit Tarik, Montréal est un peu à la marge, entre NY et Toronto. Les deux plus gros points de création et de vente pour le hip-hop en Amérique du Nord » surenchère Gauthier.
L’objectif en créant Latitude 45 était donc de réunir deux villes au fort potentiel mais encore en développement structurellement : « Dans ce pays centralisé qu’est la France, Paris décide du marché. Sur le rap francophone, Paris a toujours préféré bosser avec des artistes belges qui sont à deux heures de train plutôt qu’à 8 heures d’avion. Notre idée c’était de faire un hold-up » glisse fièrement Tarik.
Un Projet 100% digital ?
A l’instar du projet Trinity de Laylow, Latitude 45 s’est formé sur une grosse base de digital. 8 heures d’avions, et 6 heures de décalage horaire auront raison d’un projet IRL. C’est autour de mails et de « gigantesques tableaux excel » que Tarik et ses acolytes décident de créer, ensemble, la tracklisting de ce projet ambitieux. En trouvant dans son entourage des créatifs près et prêts à se plonger dans la création de musique, Tarik tente de trouver des homologues canadiens (un beatmaker et un artiste) avec qui collaborer. Un travail de longue haleine entamé début 2020, pour n’aboutir que fin Septembre 2022 : « Rien que de réunir les artistes sur une même prod pouvait prendre un voire deux mois. Et si jamais le feeling ne passait pas, on repartait pour plusieurs semaines d’échange et de recherche ».
Le deux volumes de Latitude 45 ont réuni des artistes comme Cyrious et L.Teez, Tejdeen et David Campana ou encore Alliance et Ebony’T.
Une façon peu commune de travailler un disque, qui a pourtant tout de suite parlé à El Bobby et Leïla Lanova. Les deux artistes francophones -le premier est lyonnais, la seconde québécoise- se sont retrouvés sur le même titre Dégâts sans n’avoir jamais eu l’opportunité de se rencontrer en physique.
« Etant basée à Montréal, je n’ai pas vraiment le choix que de bosser à distance. Ce sont les seules options qu’on a, appart prendre l’avion (rires) »
Pourtant, ils ont produit un morceau passe-passe à thème qui a une place de choix dans le second E.P. Leïla Lanova nous confie avoir déjà travaillé à distance « C’est quelque chose que j’aime vraiment faire. Etant basée à Montréal, je n’ai pas vraiment le choix que de bosser à distance. Ce sont les seules options qu’on a, appart prendre l’avion (rires) », alors que El Bobby préfère travailler directement dans le même studio avec les artistes avec lesquels il pose en featuring : « De mon côté, c’était la première fois que je faisais ça à distance et pour être très honnête, je préfère être avec la personne en studio et créer un lien. Ce sont les réseaux sociaux qui nous ont vraiment permis d’arriver au bout de ce processus créatif. J’avais l’impression de l’avoir déjà vu alors qu’on s’est vu pour la première fois hier, juste avant le show au Bizarre Vénissieux ! ».
Leïla ajoutera même : « Le sentiment commun c’était de vraiment de collaboration et pas seulement de faire un featuring. On a voulu apprendre à se connaître un peu mieux et je me rappelle qu’on s’est fait un visio’ sur Instagram, on a fait une conversation à trois avec le producteur Koyo ».
From Digital to IRL
Le projet Latitude 45 Volume 1 est sorti au début du mois de mai 2022, et le second est sorti à la fin du mois de Septembre. Entre la sortie de ces deux E.P, les artistes lyonnais se sont rendus fin août 2022 au Canada afin de performer sur scène. Ils ont pu réaliser une première tournée internationale.
Tarik était pourtant loin d’imaginer que ces objectifs seraient remplis si tard : « Pourquoi avoir fait deux E.P au lieu d’un seul ? Parce qu’en une fois c’était impossible (rires). Dix morceaux d’un coup c’était infaisable. On était vachement ambitieux, on pensait qu’en un an tout serait plié. Mais on a rapidement compris que tout prendrait plus de temps que prévu : entre le premier et le dernier master il y a deux ans de différence ».
« On voulait faire durer le projet et le faire tourner au maximum, le défendre »
Une réalité de la création musicale à laquelle le groupe s’est heurté qui aura permis par ailleurs de vivre une vraie expérience humaine, toujours selon Tarik : « On voulait faire durer le projet et le faire tourner au maximum, le défendre. On a décidé de faire un premier E.P et envoyer les artistes à Montréal pour faire une scène [NDLR : en août, sur la scène du Turbo Haüs]. Puis faire venir par la suite les artistes canadiens à Lyon ».
C’est chose faite lors de la venue des artistes québécois à Lyon, avec l’événement réalisé à Bizarre Vénissieux. Une grosse partie des artistes du projet ont pu interpréter leur morceau en commun. Un temps d’échange qui donne envie aux artistes d’outre-Atlantique de pénétrer un nouveau marché. C’est le cas de Leïla, qui attend beaucoup de Lyon : « J’attends de Lyon ce qu’elle fait déjà : l’hospitalité. J’espère que les rencontres que j’ai faites via ce projet continueront à fleurir et qu’une fois qu’on retournera dans nos vies respectives, on sera tous un support l’un pour l’autre. Que ça soit au niveau des infrastructures, de la connaissance ou des petits conseils entre professionnels vis-à-vis de l’industrie ».
Un game-changer
Longtemps considéré comme la 5ème roue du carrosse niveau rap, Lyon semble pourtant perçue, depuis l’extérieur, mure en matière de musique. Au sein d’Hydrophonik, le label Montréalais et chez Gauthier son fondateur, on pense que « Lyon est en avance de 10 ans sur le rap canadien francophone ».
« Je ne pense pas qu’il manque quelque chose à Lyon, tout va venir avec le temps. »
Comme le dit l’expression, ‘nul n’est prophète en son pays’. Et c’est grâce à la venue d’avis extérieurs que Lyon prend conscience du travail réalisé jusqu’alors dans le mouvement hip-hop. Toujours selon Gauthier : « Je ne pense pas qu’il manque quelque chose à Lyon, tout va venir avec le temps. Le hip- hop est tellement démocratisé que tu en retrouves en Bretagne, à Toulouse… C’est juste une affaire de patience. On a le même combat que les lyonnais : on attend rien de personne, on fait ce qu’on fait et un jour ça payera : Montréal et Lyon prendront leur place ».
Latitude 45 est donc un projet game-changer qui a, non seulement relié deux villes/deux pays longtemps mis en opposition, mais qui aura également permis à deux villes sous-estimées de se sortir de leurs travers. Également, il aura permis à des artistes aux styles tous nouveaux de prendre des risques et de sortir de leur zone de confort. El Bobby remercie d’ailleurs Tarik et l’initiative créée.
Il sent qu’il a passé un cap et que l’exposition donnée à sa carrière est une vraie chance : « Ce que je trouve cool avec ce genre de projet, c’est qu’on se rend compte que tout est possible. En arrivant dans le monde de la musique, tu penses qu’il y a de grandes portes que tu ne peux pas ouvrir, des personnes que tu ne peux pas contacter. Alors qu’aujourd’hui avec internet, tu peux être en contact avec tout le monde (…) Ce projet m’a ouvert d’autres portes et ouvert à d’autres type de productions musicales, et aussi à l’auto tune ! ».
En espérant que ce projet amène d’autres collaborations internationales et permettent aux deux villes citées d’envisager de nouvelles possibilités dans la musique.
Commentaires
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Christel Villette
Bravo pour ce trait d’union entre les 2 villes ! Tisser des liens, c’est l’avenir.