Medine : sa rentrée musicale -musclée- à Lyon
Dans un contexte de rentrée assez compliqué et après un été particulièrement agité, Medine reprenait, ce jeudi, du service musical. 5 jours après son passage à la Fête de l’Huma où on l’a d’ailleurs aperçu tout sourire devant le stand de l’ « Union Juive Française pour la Paix », le rappeur normand reprenait la tournée pour défendre son dernier album « Medine France », sorti en novembre 2022.
C’est à Lyon que cette tournée de concerts a repris. Un premier show avait déjà eu lieu le 22 octobre dernier dans la salle du Ninkasi Gerland. La ‘partie 2’ a pris place dans la salle du Transbordeur de Villeurbanne, où Medine n’a -une fois n’est pas coutume- pas été reçu avec le tapis rouge. Dans la nuit du 20 au 21 Septembre, des tags « Medine = Islamist » ou « Islamists go home » (Islamistes rentrez chez vous en anglais, NDLR) ont été recensés aux abords de la salle de concert. Ceux-ci ont été revendiqués au petit matin par le groupe « Les Remparts Lyon » -fondés sur les cendres du groupe Génération Identitaire dissout en 2021 par Gérald Darmanin- qui ont expliqué sur X (anciennement Twitter) leur démarche : « Des militants critiquent ses liens avec des figures et groupes islamistes. Ils exhortent les Lyonnais à exprimer leur opinion à la salle de spectacle ». Des dizaines d’appels ont été reçus par la salle de spectacle, qui n’a pas répondu à notre demande d’interview. Ces événements ont posé question : Annulation ? Pas Annulation ? D’autant que le rappeur a annoncé il y a quelques semaines avoir été visé par des projets d’attentat sur sa personne, ainsi que sur plusieurs cadres Insoumi.e.s dont Jean-Luc Mélenchon, des mosquées et le CRIF, le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France. Pourtant, à 19 heures ce jeudi soir – comme initialement prévu- les portes du Transbordeur se sont bel et bien ouvertes, laissant s’entasser quelque 1500 personnes afin de voir le rappeur havrais répondre -en musique- aux critiques et attaques dont il est la cible.

Le nouveau programme politico-musical de Medine
Après une première partie assurée par deux artistes toulousains Antes & Madzes, les chants « Lyon, Lyon, Antifa ! » se faisaient entendre, annonçant l’arrivée du clou du spectacle dans la pénombre de la salle. Celui qui se revendique « toujours aimé du public, méprisé de la critique » explique dès son entrée que le groupe –Les Remparts– qui a tenté de faire annuler le concert « comme ce fût le cas avec les pressions du RN dans une autre ville de l’est de la France qui ne m’a jamais reprogrammé » (faisant référence à son concert au Bataclan en 2018 où Medine avait été déprogrammé après des pressions de l’extrême droite, NDLR) auraient perdu le combat : « les tags ont été enlevés avant qu’on arrive » et que son public et la salle « qui ont resisté » auraient, eux, gagné. L’événement est dès lors maintenu, plein et ambitieux. Dans l’art de la rhétorique, du direct et de la punchline, Medine est un très bon praticien. Quelques minutes après avoir entamé son concert, accueilli sous les « siamo tutti antifasciti » d’un public chauffé à blanc, le rappeur normand essaime des « Allumez vos téléphones comme une ville illuminée qui résiste aux attaques de l’extrême droite ».
Et côté coups d’éclat, le public n’est pas en reste. Au cœur de sa soirée, Medine va ironiquement séparer son public en plusieurs camps pour faire monter l’ambiance. Il harangue à sa droite, un camp politique « décomplexé » et pas totalement réveillé, à sa gauche, un camp « gauche caviar » ambiance « Strauss-Kahn » qui « s’embourgeoise » et au fond de la salle « derrière et en haut », la « tribune présidentielle de Versailles ». Avant d’exprimer, sourire en coin, la mention : « toute ressemblance avec l’hémicycle est fortuite ». Cette façon de tenir au chaud cette salle pleine à craquer remet Medine sur les rails de son show, que le public imaginait quelque peu déstabilisé avec le contexte de cet été et les polémiques qui se sont entassées. Notamment ses propos qualifiés d’ « antisémites » à destination de Rachel Khan, écrivaine et petite-fille de déportée via un tweet qui a manqué d’entraîner l’annulation de sa venue aux camps d’été du groupe politique EELV qui s’en est suivi.
Les 4 commandements pour répondre -en musique- à l’extrême droite
Pour répondre à ce qu’il juge comme des « critiques infondées » sur son antisémitisme, Medine choisit un ratio forme-fond musical qui lui convient mieux. Pour la forme, le concert moitié-métalleux moitié-rap a galvanisé un public scandant le nom de leur idole dès qu’il feint terminer le show après plusieurs rappels. Pour le fond, Medine a dévoilé ce jeudi soir l’étendue de son programme politique non-officiel.

1er commandement : L’amour de son prochain
Medine est dans l’amour de son prochain. Il le prouve par la création de sa propre marseillaise « allons enfants de la partie c’est quoi les bails ? ». Puis, au cours du concert, il évoque l’idée de défendre le romantisme avec un ‘Cheb Medine’ mélangé à un Elvis Presley qui se déhanche au micro devant ses fans. Il défend également sa qualité d’homme engagé auprès des femmes, en chantant à Floriane -une femme du premier rang- deux morceaux balades, puis lorsqu’il entonne le morceau en déclaration « Houri », un genou à terre, pour sa femme apparue soudainement sur scène au milieu de la chanson. Il s’attriste de ne pouvoir pas faire la même chose sur le morceau « Enfants Forts », sur lequel il invite normalement ses 3 enfants sur scène. Le rappeur justifie ce choix avec un brin de colère par le fait que « les menaces sur ma personne m’empêchent de les faire venir ce soir ».
« Le rap j’en ai plus pour longtemps à mon avis »
2ème commandement : La liberté d’expression
Avec le show qu’il réalise pour la défense de son album « Medine France » à l’imagerie Black Panther, Medine évoque également en toute confidence à son public sa reconversion du rap par une prise de parole qu’il conclut par « j’en ai plus pour longtemps à mon avis ». Pour autant, il compte toujours porter la voix de ceux qui l’ont porté depuis plus de vingt ans. Il explique même se considérer comme « privilégié » de pouvoir témoigner de « la douleur que certains ne peuvent exprimer ». Parmi ces douleurs, il y a la liberté d’expression, que le rappeur voit diminuer « chaque fois que (il) passe en concert ». Ce qui n’est pas sans rappeler que la veille, la journaliste Ariane Lavrilleux sortait de 39heures de garde à vue pour avoir dénoncé le contenu de dossiers classés Secret Défense dans l’entente franco-égyptienne concernant l’opération « Sirli ».
3ème commandement : L’école de la république havraise
Pour l’éducation, Medine ne manque pas de faire remarquer à son public, et notamment à Sakhina, une fille choisie dans le public pour interpréter un morceau, qu’ici « ce n’est pas l’école de Gabriel Attal, on ne fait pas ce qu’on veut » lorsque celle-ci fait remarquer à Medine qu’elle veut chanter un autre morceau que celui proposé par l’artiste. Puis, quelques morceaux plus tard, Medine est assis sur une mallette qui représente son « grenier à seum », une métaphore pour parler de tous les sujets pour lesquels l’artiste a encore des ressentiments forts. Il évoque cette « prof de compta » qui lui aurait dit lors d’un conseil de classe lorsqu’il était au lycée qu’il se « retrouvera un jour dans des attentats » avant de se demander ce qu’elle répondra « quand elle (le) verra dans les livres d’histoire de ses terminales ». Tout en poésie.
Puis, après une heure de show où il fit tomber la veste, casquette vissée sur la tête, Medine ambitionne la municipalité du Havre en 2026 au profit d’Edouard Philippe, l’autre « barbu » de la ville. À la fin du morceau, le public est instantanément plongé dans le noir. Puis l’artiste revient avec son équipe –batteur, DJ et backeur- pour interpréter le morceau « La France au Rap Français », expliquant « ne plus faire de concert » mais « des meetings ».

4ème commandement : décentraliser le pays avant Paris 2024
Jusqu’alors, Medine affiche donc dans son « meeting », un programme assez simple, « basique » (comme dirait Orelsan, NDLR). Puis, dans les dernières minutes du show, il évoque l’envie de décentraliser la France « qu’il aime ». Cette idée trouve un écho à travers le morceau « Grand Paris », véritable succès de son album « Grand Medine », où le Havrais explique faire partie de cette ‘France périphérique’ à quelques heures du centre-ville de la capitale. Lorsqu’il chante un refrain remixé pour l’occasion « Lyon influence Paname, Paname influence le Monde », le rappeur donne également à la capitale des gaules un statut de Grand-Paris, preuve que, selon lui, il en est fini de la toute la puissance Parisienne, mais plutôt du retour en force des « classes laborieuses » des villes de Province.
Enfin, afin de continuer dans ce thème au milieu de son show, Medine n’oublie pas de donner des éléments du réel, comme le rendez-vous « ce samedi 23 pour une manifestation nationale à l’appel de toutes les organisations » contre les violences policières. Les rassemblements semblent importants pour lui, et font partie de son quotidien, comme le rappelle sa présence au contre-événement-concert organisé le 1er mai dernier lors de la venue de Marine Le Pen au Havre pour la réalisation d’un banquet pour la « Fête de la Nation » du RN.
« N’oubliez pas les lyrics »
Vers la fin du concert, voyant un public rajeuni ne connaissant pas toutes les paroles de ses morceaux, Medine développe un nouvel ‘événement-happening’ : « N’oublions pas les lyrics ». Une parodie du jeu « N’oublions pas les paroles » de Nagui, version rap. Le présentateur Nagui, une des personnalités publiques télévisuelles préférées des français est ici utilisé par Medine, ainsi que la musique du générique de son émission, comme preuve que l’artiste s’intéresse à tous les français, même les retraités derrière leur télévision. Les invités de cette émission « test » rendent crédible le jeu. Matthieu, Max, Bilal et Sakhina choisis sur le tard, interprètent des morceaux de sa discographie allant de « L’école de la vie » sortie en 2004 au morceau « Brassens » sorti en 2018. Puis, l’auteur de l’album « 11 Septembre, Récit du 11ème jour » termine cette soirée en chantant qu’il « s’intéresse pas aux SDF mais à ceux qui les fabriquent » et rappelle que « L’amour des siens c’est pas la haine des autres ». Comme un joli clin d’œil aux Remparts Lyonnais.

22h40, les lumières se rallument, Medine a disparu pour de bon. Les murs et le public en transpirent encore. Parmi les quelques irréductibles -ou incrédules- fans qui pensent que leur artiste va revenir sur scène une dernière fois pour leur dire ‘Au Revoir’, certains entonnent de nouveaux chants. Entre les drapeaux de la Jeune Garde – groupe antiraciste lyonnais- brandis avec le message « Justice pour Nahel » que Medine a également tenu entre ses mains ; et ceux de la GALE (Groupe Antifascite Lyon et Environs, NDLR), des lambdas se voient distribuer des tracts de l’ « antifafest », avec un rendez-vous pris le 30 novembre. Medine sera en figure de proue de cet Huma à la sauce lyonnaise qui fêtera son dixième anniversaire où « concerts et conférences » seront réalisées « en soutien aux luttes antifascistes ». Preuve que pour l’Arabian Panther, le combat en musique ou en débats, est loin d’être terminé.
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