Limsa d’Aulnay : en finir avec le succès d’estime ?

 « Il y a plein de types comme PNL ou Hugo TSR qui peuvent disparaître pendant des années et revenir et faire un carton. À ma modeste échelle, je ne pense pas être dans cette situation même s’il y a en effet un peu d’attente autour de mes sons car les gens ont envie d’autres choses que de me voir faire des blagues derrière un micro ». C’est ainsi que Limsa d’Aulnay résumait sa situation dans une interview chez nos confrères de BackPackerz en 2020. Après la première sortie de son premier ‘vrai’ projet « Logique Partie 1 », Salim a enfin actionné la machine et laissé la possibilité d’envisager le rap comme un passe-temps pour lequel il passait tout son temps. Aujourd’hui, la donne a changé. 3 opus « Logique » plus tard, des featurings à foison et l’annonce d’un projet commun avec le rappeur belge Isha font office de vrai tournant pour le kickeur du 93. Bien qu’il rappe depuis plus de 15 ans, Limsa va-t-il enfin concrétiser le buzz qu’il entretient depuis toutes ces années ?

Limsa Hussle

Limsa d’Aulnay est, comme son blaze l’indique, Salim originaire d’Aulnay-sous-Bois dans le 93. Inutile de vous faire la biographie de cet artiste qui tourne dans le rap jeu depuis bien longtemps. Plus qu’un rappeur, Limsa est un poète des temps modernes. Un mix entre Hill des X-Men et Jamel Debbouze. Un art de la rime et de l’humour qui le rapproche de l’univers d’Alkpote, Seth Gueko ou même Caballero et JeanJass. Rien de plus logique, lorsque l’on sait que le duo belge a longtemps fréquenté la 75ème session, cette nébuleuse parisienne où trainait Sheldon, Georgio, Népal, 1995 et donc Limsa. Beaucoup de gens qui le suivent aujourd’hui l’ont découvert dans l’un des nombreux freestyles du média Grünt qu’il a fréquenté : le numéro 11 avec Georgio ; Nekfeu, Alpha en guests ; le 35 avec Sopico ; le 42 avec Georgio, Lesram (« rends moi ça classique mon frérot »)… De nombreuses apparitions où il a aiguisé sa lame et préparé son public à sa façon de rapper. « Limsa je le découvre dans un premier temps sans trop m’arrêter dans divers freestyles et parce qu’il est affilié à la 75ème Session. La première claque c’est sur sa première Grünt en 2013, la numéro 11 puis la numéro 18. Pour moi, c’est le moment où je comprends son potentiel ». Qui de mieux que Sandra Gomez pour parler de Limsa. Elle qui a suivi son évolution depuis ses débuts attend avec impatience que son artiste fétiche passe la seconde.

Enième kickeur parisien ?

Si Limsa est désormais le rappeur préféré de ton rappeur préféré, il a souvent cultivé sa discrétion, sa rareté et son unicité. C’est surtout par ses freestyles qu’on a pu percevoir chez lui quelque chose de différent, une technique et une touche peu communes. « Un accent de vieux-français, presque de titi parisien ; une manière de prononcer certains mots et un flow qui dénote, une légèreté avec des traits d’humours, une façon de rapper qui prête à sourire », Limsa, c’est tout ça selon Sandra. « Ça rend son rap super accessible en termes d’écoute », pour autant, toujours selon elle, « il a souffert de l’image d’un ‘énième rappeur technique’ bon en freestyle ». Avec ses premiers projets « Les fleurs de Limsa » ou « CBT », le dionysien a posé les premières pierres de son univers, à tâtons. Ces projets ne sont pas qualifiés par leur interprète comme ses premiers, plutôt des maquettes qu’il a quand même sorties. Car ce sont surtout par l’improvisation et la spontanéité que le rappeur a souvent défendu son art, toujours selon la journaliste Sandra Gomes : « Il y a un 3ème grunt qui sort avec Limsa en 2020. Il y a un vrai retentissement et le contexte du covid fait que les gens ont le temps de se le prendre. Son passage est remarqué et contrairement aux précédentes perfs, on voit une nouvelle génération de rappeurs ». Limsa fait désormais partie d’un ensemble de rappeurs.

Pochette du projet « Les Fleurs de Limsa ».

Featurings et Freestyles : une stratégie différente

Parmi cette ‘nouvelle génération’, il y a Nekfeu, Alpha, Georgio, Zekwé ou encore Deen Burbigo. Tous ces artistes ont la même démarche passionnée que Salim, pour qui ce fût plus dur d’arriver sur disque que poser des freestyles face caméra. Mais avec le temps, Salim a malgré tout également impressionné sur CD. Sa façon de propager sa musique entre passionnés lui fait croiser le fer avec 5 artistes de sa ville, Aulnay-Sous-Bois, sur le morceau « Invaincu » de Sefyu. C’est là-dessus que Brice Bossavie, journaliste à Libération, Tsugi magazine ou l’ABCDR du son, le découvrent : « C’est beau, c’est un passage de témoin entre deux générations qui représente bien le rap de l’époque et leur ville d’origine. Il y a aussi un mélange d’univers. Ça m’avait choqué de voir Limsa sur un projet de Sefyu ». Avec sa stratégie maitrisée, Limsa prend le temps de faire les choses bien. C’est ce qui fait sa force selon Brice : « J’imagine que Limsa, c’est le mec qui ne veut pas sortir n’importe quoi n’importe quand et qui veut sortir les morceaux en son propre nom. C’est pour ça qu’il a mis du temps à sortir son propre album solo, comme Alpha Wann par le passé. C’est une exigence artistique et dans l’idée de faire patienter les gens, il avait fait pas mal de featurings ailleurs ». Alkpote, Veerus, Aketo, Ben Plg, Souffrance, Lacraps, Sopico… En peu de projets et peu de morceaux, Limsa est arrivé à tisser un réseau du rap lui permettant de collaborer avec énormément d’artistes et d’identités différentes. Toujours dans la même ligne de conduite et avec sa manière d’écrire, il a rendu ces morceaux uniques. Sandra Gomes développe : « Si à cet âge-là, tu ne fais pas les choses par plaisir, tu peux vite t’essouffler ». Prendre son temps et sortir pépite par pépite, c’est la vie qu’a décidé de mener l’artiste qui a « 4.9 sur blablacar » selon Sandra :  « c’est sa force , qui va avec sa maturité et sa vie à côté du rap. Ce qui entretient ce mystère-là, c’est qu’il y a un public hyper friand de ce rap et qu’il ne parle pas plus que ce qu’il le faut », avant de conclure par « mais le public a besoin d’un projet, car les freestyles ça peut vite s’essouffler ».

« Logique »

Puis arrive le projet qui change tout : « Logique, Pt. 1 – EP ». Un succès (d’estime) quasi immédiat qui place l’artisan-rappeur directement dans le top des kickeurs de l’année 2020. Sandra s’en rappelle encore : « il y a plein de facteurs favorables au retour de ce rap technique. Je pense que Limsa en profite en 2020 avec Logique. C’est un gros tournant pour lui ». Le rappeur à la casquette toujours vissée sur la tête arrive avec un premier E.P de 5 titres, dont l’introduction très médiatisée « 4 Décembre », un énième freestyle Grünt qui s’est retrouvé dans un de ses projets. « Logique, Pt. 1 – EP » reste calibré pour une première carte de visite et affirme l’artiste au moment où le covid paralyse le monde entier. « Il avait besoin de perfectionner sa direction artistique. Limsa c’est hyper efficace, c’est un bête de rappeur, mais il faut le condenser. Est-ce qu’il y a assez de matière et de maturité pour en faire un album directement ? Je pense que ça aurait été l’erreur à ne pas faire à ce moment-là » développe Sandra Gomes, alias 1993initiales. Après la sortie du premier projet, « Logique, Pt. 2 – EP » sort le 4 décembre de la même année et jour de son anniversaire, puis Limsa donne naissance à une trilogie un an plus tard avec la sortie de « Logique, Pt. 3 – EP » en Février 2022. « La série des Logique était une très bonne idée » analyse Sandra avec le recul. Enfin une occasion de montrer son ‘vrai’ niveau à un public fidèle qui le suit, comme à celui qui le découvre post-confinement. « Il a eu besoin de croire à un moment donné que ça valait le coup de faire ces efforts-là » estime la journaliste du Code Review. En croyant en lui toutes ces années, la sortie de sa première trilogie vient graver dans la roche toutes les attentes dans le rap d’un homme qui ne se positionne pas comme un prophète.

Un public restreint au profit d’un rappeur décomplexé

Salim a changé, en plus de 15 ans de carrière, et le public « s’est élargi et spécifié » selon Sandra. C’est ce qui va lui permettre d’avancer en indépendant, avec son propre label « Logique Records » et son équipe. Alpha Wann, qu’on compare souvent à Limsa dans son approche méthodique du rap, a ouvert la voie. À l’instar de Don Dada, il suffit d’avoir son petit public et sa niche pour s’en sortir. Et pour faire grossir davantage ce public, Limsa nous a teasé la sortie d’un projet en commun avec Isha lors du concert à La Cigale du rappeur Bruxellois. Isha, lui aussi, habitué des sessions freestyles, a roulé sa bosse depuis plus de dix ans avant de sortir son premier gros projet « Labrador bleu » en avril 2022. Sandra Gomes, en contact avec le manageur du rappeur belge, a répandu cette rumeur d’album commun, quelque temps avant que les deux compères en fassent de même, par l’émission du Code Review au début de l’année 2023. La nouvelle a fait comme une trainée de poudre. Ce projet est attendu et semble être un des tournants de la carrière de Limsa, si l’on en croit Brice Bossavie : « Tout le monde veut savoir quand ça arrive car ce sont deux univers qui matchent. Je pense que pour Limsa, c’est un moyen de temporiser avant un potentiel album solo et se faire un peu plus connaitre ». Bien qu’il soit retardé pour « soucis administratifs » selon Sandra Gomes, le projet commun est prévu et la communication reste à l’image de ce que sait faire Limsa selon Brice : « ça reste dans l’idée de prendre son temps, de faire ce qu’on a envie plutôt qu’en termes de pique de carrière et de chiffres. C’est aussi ce qui plait à ses auditeurs ».

« Si je l’ai fait tu peux le faire, qualité en guise de promo »

Pour autant, difficile de savoir les ambitions derrière ce projet pour deux rappeurs confirmés par d’autres rappeurs mais qui n’ont peut-être pas encore le retour commercial attendu. Sandra développe : « Je n’irais pas jusqu’à dire que Limsa va faire ce projet en commun pour faire un succès commercial. Ils le savent très bien d’ailleurs. C’est Isha qui le dit dans leur featuring « Strarting Block » : ‘ce son ne va pas streamer des masses’ ». Pour Brice, ce sont des artistes à qui il faut laisser le temps de maturer leur projet. C’est par la fidélité que Limsa continuera d’avancer : « Comme Nipsey Hussle, qui avait réussi à vendre 1 000 versions physiques de son album à 100 dollars l’unité. Les gens payaient, pas pour l’objet mais, pour le soutenir car il était en totale indépendance. C’est la fidélité contre la vision artistique ». Pour Sandra, journaliste mais également Directrice Artistique et réalisatrice de cmips, même vision de l’avenir pour l’Aulnaysien : « Ce qui lui est bénéfique c’est de rester sur le long terme et d’être productif car de plus en plus de gens vont découvrir sa musique ».

Pour l’heure, l’artiste présent sur le projet tremplin High et Fines Herbes 4 en featuring avec Caballero et JeanJass et l’artiste québécois Enima vient de sortir un nouveau single tiré du freestyle désormais légendaire du Grünt 55 : « Tout Simplement » et apparait en clin d’œil sur le projet de Deen Burbigo « OG San » sur le morceau « Domaine ». Le MC du 93 y rappe en refrain « Pour le faire on a tout claqué, on a démissionné » quand son compère Burbigo lui répond : « et on avait raison, c’était que le début du Shonen ». Preuve que pour les deux artistes ‘pas encore certifiés’, le combat demeure le même et que les choses vont prendre du temps. « Ça va prendre du temps pour qu’ils comprennent, mais ils vont comprendre », dirait Stavo.

Limsa vu par Azulej.