Les hologrammes dans les concerts de rap : une lumière d’espoir ?
Quand Drake est à l’initiative de quelque chose dans la musique : tout le monde se tait et écoute. Le 5 juillet dernier, le Canadien a entamé la tournée nationale de son album commun avec le rappeur d’Atlanta 21 Savage. Dans la salle de concert « United Center » de Chicago, le show se déroulait sur une scène centrale de plus de 200 mètres carrés. Les deux artistes ont réalisé chacun une partie en solo du show avant de se rejoindre pour interpréter des morceaux de leur mixtape commune « Her Loss ». Parmi ces 2 heures de show, ce qui a particulièrement retenu l’attention du public, c’est l’apparition d’une sorte d’hologramme de Drake plus jeune tendant un livre au Drake actuel. Malgré le buzz important perçu sur les réseaux sociaux, de nombreux fans pensant que Champagne Papy avait révolutionné la science ont été douchés par la révélation d’un de nos confrères américains prouvant la supercherie : il s’agissait en réalité d’un comédien de 15 ans avec une IA permettant d’ajouter le visage de Drake, comme sur le tournage du film de Benjamin Button 15 ans plus tôt.
Cette soirée aura tout de même permis de relancer une énième fois le débat de l’IA et des hologrammes dans les concerts. Bonne ou mauvaise idée ? Simple business ou univers culturel impétueux ? Le marché de la 3 dimensions dans les concerts existe depuis plus de 15 ans maintenant. Cette (r)évolution viendrait du Japon. C’est au pays du Soleil Levant que l’on aurait recensé la première star fictive à se produire en concert grâce à un logiciel. Cet(te) artiste c’est « Hatsune Miku ». C’est avec le programme « Vocaloid » de la marque Yamaha que ce personnage fictif a vu le jour. Avec cette forme de jeune fille de 16 ans aux couettes de couleurs et à la voix pitchée, la société japonaise Crypton Future Media a pu remplir des stades entiers. Cette superstar a même collaboré avec Pharell Williams et Lady Gaga. Cet hologramme a révolutionné le spectacle vivant, avant que l’idée traverse le pacifique.
Du Japon à Mélenchon
C’est avec Janet Jackson que l’aventure américaine de l’Hologramme a continué. La société Musion, basée à Londres et accompagnée par sa franchise américaine AV Concepts, a réalisé un concert de la cadette Jackson avec assistance d’hologramme. Ian Triay, co-fondateur de Musion Events, a par la suite développé le concept et adapté le processus à légende -décédée- Tupac. Le technicien anglais se souvient : « Pour la scène de Tupac en 2012, nous avions utilisé les mêmes réglages et le même matériel que pour Janet. C’est l’artiste Dr. Dre qui a approché notre animateur pour réaliser un hologramme de Pac pour le festival Coachella. Il est donc apparu vivant sur scène à côté de lui et Snoop Dogg ». Dans ses souvenirs très clairs, Ian se souvient surtout des retombées du show : « Avant ça, l’hologramme n’avait rien à voir avec les concerts. Puis, d’un coup, on a reçu des réactions et des messages du monde entier. Les gens ont découvert que c’était possible ». Très rapidement, un business s’est créé, attirant toutes sortes d’opportunistes : « il y avait déjà des entreprises qui voulaient développer cela dans toutes les soirées et les concerts, qui se battaient pour ce marché. Ils voulaient utiliser cette technologie mais en même temps, il n’y avait que très peu de monde qui pouvait se le permettre ». Car si le concert de Tupac a coûté la modique somme de 400.000 euros pour deux chansons et dix minutes de show, la note des hologrammes suivants a été davantage salée. « Pour Michael Jackson en 2014, le tout a coûté 2 millions de dollars. Il avait été désigné pour être utilisé à des fins publicitaires et commerciales à la télévision » explique le businessman londonien par visio-conférence.
Aujourd’hui, l’hologramme est davantage démocratisé. Avec l’arrivée en masse sur les réseaux sociaux et sur Internet des Intelligences Artificielles, et dans une moindre mesure Twitch, le monde de l’influence prend conscience de l’avenir du digital dans le domaine culturel. Même Jean-Luc Mélenchon avait pris le pli lors de sa campagne pour les présidentielles de 2017.
Un business au mépris des morts ?
Internet, le réseau social et la dimension numérique rentrent donc au cœur de la réflexion stratégique des artistes. Comment produire quelque chose de si personnel comme un album quand le défendre sur scène devient si peu humain ? Certains artistes ont déjà utilisé le business des hologrammes pour déjouer les pronostics. Comme le rappeur américain Chief Keef, qui avait réalisé, en 2018, son propre concert en hologramme en hommage à un jeune homme décédé des suites d’une fusillade alors qu’il était interdit de territoire à Chicago. Un côté symbolique assez poignant. Mais à l’autre extrême, on pense aux proches des artistes décédés Amy Winehouse ou du rappeur de Floride « XXXTentacion », qui avaient carrément pensé à une tournée entière à base d’hologrammes. De quoi ravir les producteurs et les fans, mais pas forcément la mémoire de ces dits-artistes décédés ou les autres artistes émergents, pour qui le business est ‘rongé par les morts’ ?
l’hologramme au service de l’artiste
« Moi je m’occupe d’artistes en développement. Donc forcément c’est compliqué de voir ces nouvelles technologies aider les morts plus que les vivants » s’exclame Yacé. Ce coach scénique qui a notamment apporté ses compétences aux derniers participants du concours de talents ‘Buzz Booster’ voit arriver à -trop- grande vitesse le business juteux de l’hologramme. Pour lui, la seule justification de la présence de ces avatars serait« d’être au service de l’humain ». Sinon, ce sera sans lui : « quand ça perd l’idée humaine et qu’on idolâtre quelque chose créé numériquement, ça me pose problème ». Ce cinquantenaire qui a vu débarquer Roger Rabbit en 1988 -un dessin animé moitié bande dessinée moitié images réelles- verrait pour autant bien un featuring mi-homme mi-avatar révolutionner les shows tel qu’on les connait aujourd’hui : « Kikesa (rappeur/chanteur nancéen, NDLR) s’il peut faire intervenir sur scène son personnage fictif qui joue du piano dans ses clips, ça serait sympa ! ». Dans son milieu le hip-hop, où le fond revient davantage au profit de la forme, impossible pour lui de servir une soupe réchauffée d’un artiste qui ne mouille pas le maillot dans la salle de concert chaque soir. Le public n’est pas dupe : « à la fin du mois, quand t’as fait une dizaine de concerts avec que des hologrammes et que tu n’as pas eu de rapport à l’humain, je pense que tu te dis ‘autant regarder des DVD depuis la maison’ ».
Puis, ce phénomène des hologrammes, qui s’est -quasi- exclusivement développé aux USA dans le rap aujourd’hui, est peut-être un peu voué à ne rester qu’outre-Atlantique. Même si Disiz ironisait autour de cette punchline « le rap c’est mieux, on a les meilleurs concerts : on a Tupac en hologramme » dans le morceau « le Rap C Mieux » ; on peut se demander si son implantation a une réelle portée et un intérêt en France. Au moment même où le minimalisme de certains shows comme le festival Burning Man, sans wi-fi ni 4G en plein désert du Nevada, prend autant d’ampleur, on peut se demander si le business des hologrammes peut avoir tant de succès. Sur l’année 2022, Musion, figure de proue du marché de l’hologramme, annonçait 10% du chiffre d’affaires de son entreprise autour de l’organisation de concerts, malgré l’impact du covid sur leur secteur. D’ici 3 ans, l’entreprise en espère 30%. Preuve que le secteur se veut porteur et ses acteurs plein de promesses.