Les 1000 vies d’Alibi Montana

Vous l’avez surement connu pour ses projets musicaux comme1260 jours ou en duo avec Lim sur Rue. Il entame aujourd’hui sa mue dans le cinéma tout en restant lui-même. Alibi Montana se définit comme un mec de la rue qui croise les codes, entre prison et grand écran, impact social et rap hardcore. Nous l’avons interviewé en marge du tournage de la série Diversion du réalisateur lyonnais Sébastien Jimenez, dans laquelle il joue un flic ripoux.

Alibi Montana, mec de la rue dans le rap

+33 : Récemment on t’a vu dans le court-métrage de Sébastien Jimenez Le Braconnier, puis on t’a vu sur le tournage de sa prochaine série Diversion. Comment ces expériences se sont présentées à toi ?

Alibi Montana : Sébastien Jimenez c’est un réalisateur lyonnais. Il m’a contacté par Instagram en me disant qu’il avait écouté 1260 jours, loin des yeux loin du cœur avec Diams que sa femme aimait beaucoup d’ailleurs. On a, d’abord, beaucoup parlé musique puis après cela il m’a parlé du fait qu’il avait écrit le film ‘le Braconnier’ et qu’il avait pensé à moi pour le rôle du chef de gang. Il m’a envoyé le scénario que j’ai lu, on en a discuté puis on s’est revu. Je suis tombé d’accord pour jouer dedans et il m’a même proposé de faire la bande originale. J’ai fait le titre Braconnier en rap pur et dur avec un rappeur canadien et Braquo en feat avec Colonel Reyel. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer ainsi qu’à enregistrer les titres pour lui.

+33 : Pourquoi as-tu accepté de jouer ce rôle-là ?

Alibi Montana : J’avais eu l’occasion d’avoir des petites expériences cinématographiques brèves très intéressantes avant. Mais avec ce projet-là, ça m’a vraiment parlé de mélanger l’acting et la musique, jouer le personnage et écrire la musique du film. Et j’ai pris autant de plaisir à jouer dans sa nouvelle série Diversion où je joue un rôle plus inattendu. Dans le braconnier, je joue le rôle d’un chef de gang, quelqu’un des quartiers : ce que je connais très bien. Dans Diversion je joue un flic. C’était plus difficile mais un travail de composition très intéressant. J’ai la capacité de jouer différents personnages. Et puis dans mes apparitions, dans « Seconde B », dans le premier film de Jean-Pascal Zady ou « Dans le dos » en 2005, j’ai souvent joué les mêmes rôles.

Sébastien Jimenez au milieu, accompagné d’Alibi Montana à droite lors de l’avant-première parisienne de Braconnier.

+33 : Dans ton rap, tu te considérais comme un mec de la rue qui rappait. Est-ce qu’aujourd’hui, tu te considères comme un mec de la rue qui fait du cinéma ?

Alibi Montana : Oui c’est la même gamberge. J’aborde les deux choses de la même manière. Un mec de la rue qui fait du rap et de l’acting.

+33 : Tu disais que tu apprenais tes textes par cœur en cellule, sur le projet 1260 jours, mais que tu n’arrivais pas à le refaire une fois sorti. Est-ce que tu procèdes toujours pareil pour le cinéma : beaucoup d’improvisation ?

Alibi Montana : J’ai toujours aimé ça, même en concert. Je faisais mes titres classiques mais certains moments je faisais de l’improvisation. Ça m’est arrivé de demander à mon DJ de faire des instrus uniquement pour de l’impro. J’ai même demandé à mon public de me donner des mots pour que je rappe quelque chose devant eux.
Dans le cinéma, je vois ça pareil. Avec Sébastien, je lui ai demandé s’il me permettait d’improviser dans Diversion. Pour ça que je suis un mec de la rue qui fait du cinéma. Toujours beaucoup d’improvisation !

Alibi, encore et toujours sur scène.

+33 : Qu’est-ce qui t’intéresse dans le cinéma ?

Alibi Montana : La relation avec les autres comédiens, quand tu leur donnes la réplique. Entre les prises, tu kiffes, t’as une complicité. Sur Diversion, je me suis beaucoup amusé avec un acteur qui s’appelle Akram, celui à qui je donne la réplique et qui joue le rôle de mon coéquipier de keuf ripou. Quand on a fait un peu d’impro, Sébastien était content et on a pris du plaisir à tourner tous les deux. Je prends du plaisir à échanger avec des gens qui ne sont pas de mon univers et inverse. On apprend des autres et c’est enrichissant !

La continuité de sa vie avec le cinéma

+33 : Est-ce que tu penses que tu aurais accepté de faire de l’acting au début de ta carrière ?

Alibi Montana : En 2004, je n’avais pas la même attirance vers le cinéma, ni jouer un rôle comme dans le Braconnier. Je n’avais pas autant d’intérêt pour ça non plus. J’étais dans le rap hardcore. Je n’étais pas forcément ouvert sur beaucoup de choses, même musicalement.

+33 : Aujourd’hui tu es davantage ouvert, comme on a pu le voir sur un featuring avec l’artiste Paola Soares sur le morceau « Viens on s’aime ». Comment tu as eu l’idée de mélanger ton rap, qualifié comme hardcore, avec de la chanson portugaise ?

Alibi Montana : Je fais des choses qui me plaisent, qui me parlent. Avec Paola, ce qui m’a plu c’est le côté latino mélangé au rap. J’aime bien mélanger mon univers avec d’autres. On a eu l’occasion de chanter cette chanson au Portugal et on pourra aller la chanter dans d’autres pays lusophones donc c’est cool, je voyage grâce à ma musique. J’aime bien faire de nouvelles choses. J’ai fait énormément dans le rap pur et dur, j’aime m’enrichir en croisant le rap avec d’autres univers.

+33 : Cette ouverture d’esprit, tu la cultives également ailleurs que dans le rap ou le cinéma ?

Alibi Montana : J’ai toujours été considéré comme l’un des rappeurs les plus hardcores. Maintenant, j’ai une ouverture d’esprit que je n’avais pas à l’époque. Tu ne m’aurais pas vu faire autant de collaborations hors-rap. Après j’en ai fait avec des chanteuses, chanteurs, groupes. Aujourd’hui, je suis père de famille, je suis marié, j’ai évolué.

« De la Rue à la Rime »

+33 : Récemment, là où les gens t’ont redécouvert c’est sur ton livre « De La Rue à La Rime », sortie en 2019. Comment l’idée t’es venue d’écrire ta biographie ?

Alibi Montana : L’idée, c’est deux journalistes qui me l’ont donné : Laurent Louis et Dominique. Ils sont venus me voir dans une période où j’étais directeur de programmation de la radio RTSF93 que j’ai dirigée pendant 5 ans. Ça les avait interpellés car ils m’avaient déjà suivis à l’époque où j’étais rappeur, notamment pour mes albums solos et de Rue avec LIM. Cette nouvelle casquette de programmateur les a intrigués. Ils sont restés une semaine et ils ont réalisé que j’avais fait pas mal de choses. Ils m’ont proposé l’idée de faire un bouquin. Sur un titre de 3min ou 3min30, tu ne peux pas dire autant de choses que dans un livre.

La couverture du livre autobiographique d’Albi Montana.

+33 : Ça t’a pris combien de temps à l’écrire ?

Alibi Montana : Ça nous a pris 2 ans et demi. Ils passaient me voir au bureau pendant 4 heures. Ils avaient une série de thématiques et questions et ils me laissaient parler par thèmes et périodes.

+33 : Page 94 de ce le livre tu dis : « Pour beaucoup, c’est un peu leur histoire ou celle de leur entourage que j’ai racontée ». Pourquoi ?

Alibi Montana : Dans mon public, il y a des gens fidèles et à qui je suis fidèle moi aussi. Ils sont présents dans des moments importants mais je ne mets pas forcément leur nom. Je les cite et je dis que ce livre c’est un peu le leur aussi. On est allés faire l’avant-première du film Braconnier dans lequel je joue dans une salle de cinéma à Paris. Ces gens-là dont je parle étaient tous présents. Pour eux, c’était différent de ce que je faisais et ils tenaient à voir ça pour être présents dans ce moment-là comme pour l’écriture du livre. Je partage beaucoup au quotidien.

toujours un pied dans le social

+33 : Dans le livre, tu parles aussi énormément au nom de ‘la rue’, de l’aspect politique et social. Avec ce qu’il se passe actuellement, quel impact a encore ton travail ?

Alibi Montana : Oui, j’ai toujours eu cette envie de représenter la parole de ceux qui ne l’avaient pas, dès mon premier album. C’est ce que je voulais incarner dès le début. Je parlais avec Lamal de Générations du morceau que j’avais fait Crise des Banlieues en 2005 pour Zyed et Bouna. Il me demandait comment je sentais les choses et moi mon état d’esprit avant 2005 et depuis, j’ai toujours su qu’il y avait des gens laissés pour compte. Souvent, il leur arrive le pire dans leur vie : drame, social, pas accès à un travail, demande d’un appartement… J’ai souvent parlé de ces gens-là dans mes disques et c’est important de continuer à le faire. De mon premier album à 2023, rien n’a changé dans les quartiers populaires. Certains gars que j’ai connus dans les halls quand j’étais gamin et qui pourraient être parents voire grands-parents aujourd’hui sont toujours perdus. Pour moi, dans ma génération, beaucoup ont été dans ce tourbillon et n’ont pas pu s’en sortir. La nouvelle génération avec les réseaux sociaux voit plus de choses : ça met plus de choses dans la tête donc ça peut être plus dramatique. Bien avant la mort de Nahel, je sillonnais les banlieues pour mon livre et je voyais bien qu’il y avait un problème.

+33 : Dans le projet ‘1260 jours’, il y a eu dont le morceau ‘Crise des Banlieues’ et après ça tu as sorti  ‘Monsieur Sarkozy’, qui a malheureusement toujours un écho aujourd’hui. Est-ce que tu peux en rappeler le contexte ?

Alibi Montana : À l’époque, j’étais en tournée pour mon album Numéro d’Ecrou. Sarkozy vient à La Courneuve après les émeutes de 2005 et la mort de Zyed et Bouna et fait cette déclaration qu’il faut venir laver les banlieues au karcher. Moi j’étais dans le Nord de la France et des gens du quartier m’appellent pour me raconter l’histoire. Je parle avec des jeunes qui me disent que je devais réagir et faire quelque chose. Après le concert j’ai cogité toute la nuit et le matin j’ai commencé à écrire les paroles de cette chanson. On rentre à Paris et j’enregistre directement le morceau « Monsieur Sarkozy ». Quand il sort, ça fait du bruit. Sarkozy l’entend et il charge un politique, Monsieur Grosdidier, de m’attaquer. J’ai eu un procès au tribunal que j’ai fini par gagner mais avant ça j’ai eu plein de dates de concerts annulées. Puis, il y a Mouloud Achour qui m’a proposé d’aller dans le QG de campagne de Sarkozy pour lui mettre un mot sur son bureau en direct de Canal +. J’ai accepté et ça s’est fait.

+33 : Malgré ce rap hardcore que tu faisais et la prison que tu as connue, tu as su transmettre beaucoup de messages, notamment avec ton association Cœur d’Haiti. Est-ce que c’est là-dedans que les gens se sont reconnus dans 1260 jours ou Numéro d’écrou par exemple ?

Alibi Montana : Il a été accueilli comme ça, les gens disaient que cet album 1260 jours, c’était le leur. En concert les gens connaissaient le truc par cœur. Ils vivaient comme si c’était eux qui étaient allés en prison. Il s’est classé dans les top albums au milieu des autres artistes, sans radio ni presse. La chance de pouvoir faire une tournée, ma toute première juste après. Le souvenir que je garde c’est l’impulsion des gens qui se sont approprié mon histoire. À la fin des concerts, les gens restaient avec moi, on avait un échange comme si on était potes du quartier. Jusqu’à maintenant, on m’en parle encore.