La Familiale organise un concert de rap en soutien aux grévistes

Quelques jours après l’annonce du premier concert en soutien aux mouvements de grève et face aux répressions policières, nous avons rencontré Gueno Fiasko. Ce membre du collectif La Familiale à l’initiative de l’événement est revenu avec nous sur cette semaine mouvementée qui a suivi l’annonce d’un projet d’envergure. 7 jours après avoir soumis l’idée d’un concert de rap en soutien aux grévistes français, le militant affirmait la tenue du concert ce dimanche à Pantin. Il tenait à nous afficher ses ambitions et son envie de « prendre le temps de bien expliquer la démarche ».

L’Histoire d’un concert historique

+33 : Qui êtes-vous et pourquoi est-ce que vous vous êtes intéressés au sujet des récents mouvements de grève ?

Gueno Fiasko : Je fais partie du collectif La Familiale, on existe depuis 10 ans. On fait tout le temps des open-mics, des événements en lien avec le rap, même si cette année on a été beaucoup plus calmes car notre vie perso a pris le dessus et qu’on est bénévoles. On a toujours été à la frontière avec le militantisme, on a organisé des concerts de soutien pour d’autres initiatives, les Nouvelles Solidaires, on a fait un stand à la Fête de l’Huma (un événement annuel organisé par le média l’Humanité, NDLR).

Le logo du collectif La Familiale.

+33 : D’où part l’initiative de ce concert lancée sur les réseaux sociaux ?

Gueno Fiasko : L’élément déclencheur de ce concert, ce dimanche, c’est qu’on était à la manifestation mardi dernier avec le collectif. On marchait, on était derrière un des camions qui avait de la musique et on craquait sur les playlists qui tournaient : Diams et ‘La Boulette’, ‘La Rage’ de Kenny Arkana, des morceaux Hip-Hop... On faisait déjà des open-mics au cours des manifestations avec notre propre camion. La dernière action comme celle-là remonte à l’époque de « Nuit Debout » en 2016. Depuis que les manifs ont un peu changé et qu’il y a de la répression policière, c’est beaucoup plus galère d’avoir des camions et des stands en manif’.

Entre nous, on s’est dit que ce serait bien d’organiser un concert. Ça me trottait dans la tête depuis un moment. J’ai tweeté et mis une story sur Instagram en invitant les artistes à le faire. Puis moi, je bosse à côté dans la musique, il y a pas mal de gens qui suivent mon profil, des artistes et de gens du métier qui me suivent, donc le post a été repartagé direct. Pendant la soirée, il y a Hatik qui a partagé le truc donc ça a pris une autre ampleur. On n’avait plus le choix. On avait lancé le truc, il fallait aller jusqu’au bout. On a choisi le nom Braves ! par rapport à un petit jeu de mot mais on laissera l’interprétation aux gens et leur subjectivité (rires).

+33 : Tu dis que tu travailles personnellement dans la musique. Dans quel secteur évolues-tu exactement ?

Gueno Fiasko : Je suis régisseur de festivals, de concerts ou d’artistes. Je fais également de la programmation et du booking. Je savais que je pouvais gérer ce concert si je l’annonçais, et que j’avais des équipes de bénévoles et de collègues qui pourraient me donner un coup de main. En plus de tout ça, avec l’expérience de La Familiale depuis 10 ans, on a dû travailler sur 150 à 200 événements. Ça ne me fait pas peur.

+33 : Est que le rap n’est pas la meilleure musique pour dénoncer les violences policières dans ce mouvement de grève ?

Gueno Fiasko : Forcément ! On est de cette génération où la culture Hip-Hop nous a éduqué politiquement et on en est fier(e)s. Le rap c’est déjà politique en soit car ce sont des gens qui n’ont pas la parole dans la société et qui la prennent. Rien que ça c’est politique. Même si certains rappeurs ne revendiquent rien dans leurs textes.

Après, j’imagine qu’il y a d’autres courants musicaux aussi engagés que nous qui auraient pu faire ce qu’on fait. Il n’y a pas que nous. Mais à notre échelle c’est ce qu’on connait et c’est ce qu’on a voulu faire. Il y aura un ou deux artistes R’N’B ou Pop dimanche, car on voulait vraiment inclure tout le monde. Puis, on a eu des contacts avec des chanteurs de chanson française, même des anciennes Victoires de la Musique de l’année dernière. Mais ils nous ont dit qu’au vu de la line-up, ils se voyaient mal arriver et faire une chanson. Pourtant, ils nous soutiennent à 2000%. Si on fait un autre concert, ils y seront. Pareil pour BRAV, un mec qui faisait du rap à la base et qui est plus pop aujourd’hui. Il viendra dimanche faire un piano-voix !

Communiqué officiel d’annonce du concert ce dimanche 9 avril.

+33 : Est-ce que le plus dur ce n’était finalement pas de choisir le lieu, dans une ville où la mairie vous donne le feu vert ?

Gueno Fiasko : C’était dur et pas dur à la fois. Le truc qui était un peu chaud c’était d’avoir une capacité suffisante. On s’est dit, il faut quand même pouvoir avoir une caisse de grève assez conséquente, que l’événement ressemble à quelque chose et qu’on puisse accueillir du public. Si on fait un truc bien, c’est dommage qu’il n’y ait pas assez de place pour tout le monde. On a commencé à discuter avec plusieurs lieux qu’on connaissait bien. Il s’avère que j’avais de bons contacts avec le Dock B à Pantin. Ils m’ont direct dit ‘on vous accueille, il n’y a pas de soucis’. Ils nous laissaient donc toute la billetterie mais on va quand même ramener des bénévoles pour pas qu’ils aient non plus des frais de fou et qu’ils soient à perte.

Un soutien global du rap game

+33 : Vous avez travaillé sur un projet à très court-terme, presque dans l’urgence. Vous avez communiqué sur l’événement 6 jours avant de l’officialiser dans un lieu avec une line-up. Comment est-ce que vous avez fait ?

Gueno Fiasko : On aime bien travailler dans l’urgence. On est un peu comme ça. On aime bien organiser des choses vite. On aime lancer un truc et transformer l’énergie qu’on nous rend. On est trop content que ça ait pris autant d’ampleur. Et puis, quoi qu’il arrive, si ça n’avait été que des petits artistes qu’on connait, on aurait été trop content, on l’aurait fait quand même. Le fait que ça ait pris cette ampleur, ça donne encore plus de force.

+33 : Parmi la tracklist et dans le timing de la réponse du rappeur Hatik, certaines disent qu’il y a eu un peu d’opportunisme. Comment vous l’avez-vous pu perçu de votre côté ?

Gueno Fiasko : Quand j’ai vu Hatik, j’étais surpris (rires). Twitter ça va trop vite, je ne suis pas trop fan de ce réseau parce qu’il y a beaucoup de haine. Je n’y vais pas souvent. Ce sont des potes à moi qui m’ont fait remarquer qu’Hatik avait répondu à l’appel. Le premier truc que je lui ai répondu c’était un peu froid en mode ‘Twitter c’est bien mais viens on parle concrètement’. Au final 5 minutes après il était en DM, il m’a dit qu’il était sérieux et chaud.
Ce qu’il faut savoir aussi c’est qu’on n’a pas démarché d’artistes. Tous les gens qui sont sur la line-up, plus ceux qu’on va ajouter demain, ce sont eux qui se sont manifestés. On a reçu des messages de gens ‘pourquoi y’a pas lui’, ‘pourquoi y’a pas elle’. Il y a surement certains artistes qui n’ont juste pas vu cet appel, qui ne sont pas au courant ou qu’on n’a pas appelé. Je n’en veux même pas à tous les artistes engagés qui auraient pu être là mais qui n’y sont pas.

Pour être honnête, les seules personnes qu’on a appelé c’est Médine, car je sais qu’il était en tournée et qu’en termes d’horaires ça pouvait être faisable. On s’est organisé pour que ça se fasse. Et aussi, on a aussi passé un coup de fil à la Scred Connexion, comme ils ont toujours tenu cet engagement depuis 15 ans, on ne voulait pas faire ça sans au moins les inviter. Il se trouve qu’ils ne seront pas là dimanche, mais on est avec eux dans les Fêtes de l’Huma, donc ils nous soutiennent à fond.

+33 : Vous avez reçu de la force d’artistes qui ne seront pas forcément présents ce dimanche ?

Gueno Fiasko : Oui, il y a plein d’artistes qui nous ont envoyé des messages pour nous témoigner leur soutien. Plein d’artistes connus, c’est pour ça que quand j’ai vu l’engouement sur Twitter, j’étais content. On a eu des bons retours. Les seuls trucs de haine qu’on a reçu c’est quand certains médias se sont mêlés de l’histoire. On leur avait rien demandé, on les avait même esquivé.

Au final, on a reçu des messages en mode ‘c’est qui tel artiste, personne le connait’ ou ‘il est où tel artiste pourquoi il est pas là’. Alors que s’ils savaient, il y a tellement d’artistes qui nous ont dit qu’ils n’étaient pas dispo, ou à cause du Ramadan, ou parce qu’on a pu prendre que des artistes d’Ile-de-France parce qu’on ne pouvait pas payer de défraiement… On voit que du positif dans cet événement. On est trop content de tous ceux qui sont là. Il n’y en a pas qui sont contre l’initiative en tous cas.

+33 : Cette soirée c’est vraiment un engagement militant ou tu penses que certains du public vont être tentés par la line-up attractive ?

Gueno Fiasko : La line-up elle joue forcément. On a vendu 60 billets juste en annonçant le concept et depuis la line-up on en a vendu 140 de plus. Il y a pas mal de gens qui vont venir pour ça mais je pense qu’au-delà de la line-up pour un artiste précis, c’est surtout le fait de venir pour avoir 12 heures de musique avec pleins d’artistes différents et passer un bon moment. Si en plus il y a des gens qui kiffent d’autres artistes, c’est un plus. Si certains du public qui ne sont pas engagés de base viennent pour la line-up et que ça leur donne envie de se mobiliser : c’est gagné !

On a essayé de limiter notre communication dans les réseaux militants pour d’abord qu’il y ait un public de rap, de nos événements à nous qui viennent. Le but ce n’est pas de faire une après-midi entre convaincus. Dans ce cas-là on aurait refait une manif !

Affiche de la programmation du premier festival Braves ! en soutien aux grévistes.

« On essaye de faire vivre, à travers nos événements, la société qu’on voudrait avoir »

+33 : Au vu de l’engouement, vous vous attendez à accueillir combien de personnes ?

Gueno Fiasko : On a lancé la billetterie il y a 2 jours et on a vendu plus de 200 tickets. On a une capacité de 500 personnes donc je pense que ça va aller vite.

+33 : Dans ce climat de tension, ne craignez-vous pas des actes de violence de la part de l’extrême droite ou d’une potentielle répression policière ?

Gueno Fiasko : Dans l’esprit, tout est en train de se tendre et on apporte la meilleure réponse possible : venez on se retrouve et on passe un bon moment. Ce sont nos valeurs à La Familiale. On essaye de faire vivre, à travers nos événements, la société qu’on voudrait avoir. On n’est pas inquiets sur la violence. Notre cadre est légal donc on n’aura pas de soucis avec la police. Pour ce qui est de l’extrême droite on verra mais on est des mecs du 93 ou du 95, on connait les rappeurs des quartiers, on connait les gens qui habitent les quartiers autour de Pantin. Il n’y aura pas de problèmes.

Open-mic au cours d’une soirée de manifestation « Nuit Debout ».

+33 : Vous pensez déjà à une potentielle deuxième édition ?

Gueno Fiasko : Je ne sais pas. Je ne veux pas qu’on annonce ça car je n’ai pas envie que ça frustre. Ce qui est sûr, c’est que vu le nombre d’artistes qui nous ont répondu et qui n’étaient pas disponibles pour dimanche, on a déjà de la matière pour une prochaine date. Donc si tout se passe bien dimanche, car il faut aussi que ça se passe bien, on serait chauds d’en faire une deuxième. Et on n’exclut pas d’en faire une ailleurs que dans Paris.

On a reçu des messages d’autres artistes un peu connus et engagés d’autres villes comme à Marseille, Lille et Lyon. On va essayer de faire un truc assez vite à Marseille, sans s’engager au niveau des marseillais eux-mêmes mais on aimerait bien que ça se fasse. On a des contacts avec des salles cool qui sont plus ou moins engagées où ça pourrait le faire. On va déjà voir dimanche et à partir de ça on avisera.

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