Interview avec esmo dans le cadre de la sortie de “Svav”
(+33)RAP a rencontré la rappeur lyonnais Esmo à l’occasion de la sortie des deux premiers volets de SVAV.
Quelques jours seulement après la sortie des deux premiers volets de son projet postapocalyptique SVAV, (+33)RAP a rencontré Esmo dans son quartier, à la Guillotière, Place Voltaire plus précisément. Arrivé un peu en retard – car il reste un chef d’entreprise avant la musique -, l’artiste de 27 ans nous emmène à la découverte de son 3ème arrondissement. L’occasion de discuter de ces nouveaux projets en arpentant les rues de sa ville.
« Le corps étant lié à l’esprit, mettre en mouvement son corps c’est mettre en mouvement son esprit » nous explique-t-il pour justifier son envie de marcher 15 kilomètres, et ce alors que le thermomètre affiche une température d’un degré celcius. S’il cite Montaigne et bon nombre d’autres figures de la littérature au cours de notre entretien, c’est que l’artiste souhaite montrer une autre vision de lui, de sa vie, de son secteur. C’est ce qu’il a fait avec son dernier projet SVAV 2, sorti le 17 janvier dernier.
Le projet SVAV et la dynamique de sa création
(+33)RAP – Quelles ont été tes influences pour la création du projet SVAV, qui veut dire « Système de Visée Assistée V-Tec » ?
ESMO – Le délire a commencé avec le petit projet d’avant Vega Missyl, où j’ai découvert que je pouvais faire de la musique en partant d’une genèse qui ait un support léger. Je voulais pas un support très grave, avec quelque chose de super intellectualisé, super complexe. C’est mon biais, j’ai tendance à faire ça, c’est assez naturel. Là, je me suis dit que je pouvais faire un truc, comme une sorte de métaphore imagée comme Vega Missyl. Je voulais pouvoir développer quelque chose, même si dans le cas de Vega Missyl c’était assez léger. Dans le cas de SVAV, c’était une façon de travailler un « jeu« , qui me permettait de faire un parallèle avec l’époque dans laquelle on se trouve, qui est en déclin. Il faut tout agencer et juxtaposer pour que ne soit pas un documentaire sur la collapsologie du monde et la fin des civilisations. Ce projet, c’était une façon de dire que « j’ai l’impression qu’on vit dans ce monde-là ». On vit dans un monde qui s’effondre, à tous les niveaux. Le clin d’œil que je fais à Fall Out dans le projet, c’était un prétexte d’une façon plus légère en apparence et assez ludique de pouvoir aborder une couleur du temps. On vit dans un monde qui est particulièrement gris. On vit dans une époque qui est particulièrement morne. C’était une façon pour moi de dépeindre ce truc-là sans être trop relou en disant « je vais mettre les grosses pancartes fin du monde ». Chose, que tout rappeur qui a des velléités qui dit autre chose que « j’ai une grosse paire de couilles et de l’argent » peut vite tomber dans ce discours, ça peut vite devenir chiant. Je n’ai jamais eu envie de tomber dans ce travers-là. Je n’avais pas envie de faire un projet prise de tête. Ça donne le ton de comment je vois mon secteur : La Guillotière. La gui’ c’est la gui’. Je connais ce lieu depuis que je suis gamin, mes parents ils habitaient côté Voltaire Place Guichard (au nord du quartier, NDLR) mais j’ai toujours traîné par ici, tous mes appartements étaient à La Gui. J’ai vécu des trucs de fou ici : des histoires bresom, même personnellement. L’idée de SVAV c’était me taper une barre et avoir l’occasion de pouvoir faire quelque chose, faire la photographie de comment je vois l’époque de manière générale car il est question du monde, de la guerre… et de façon plus resserrée de mon secteur car je parle de La Guillotière.
(+33)RAP – Quelle était la dynamique quand tu as créé SVAV. Comment t’es-tu organisé pour le faire ?
ESMO – Je passe beaucoup de temps à réfléchir. Je suis chef d’entreprise à côté de la musique et j’ai dû changer mon mode de vie. La plupart des gars ils galèrent, ils attendent de l’argent de l’industrie qui n’arrive jamais, ils sont à moins 10.000 euros sur leur compte en banque. Ils arrivent à 30 ans au final ils n’ont ni l’argent de la musique, ni rien du tout. Moi, Dieu merci, j’ai eu une éclair de lucidité à un moment dans ma vie, et je me suis dit « ton histoire c’est bien, mais le temps passe, ta carrière elle en est où ?’. Alors que pourtant j’ai de l’orgueil artistique, ce que Nietzsche appel le « bon orgueil« , de la bonne considération. Je ne suis pas suicidaire, derrière moi j’ai une famille, mes parents ne sont pas millionnaires donc faut être un homme et assumer. Je me suis dit que j’allais changer de situation pour pouvoir ne pas avoir besoin d’attendre désespéremment un bifton du rap. J’ai une vie chargée, ce qui fait qu’avec le temps, j’ai réussi à réduire au maximum mon déchet.
(+33)RAP – À quel moment tu tombes dans ce mindset ?
ESMO – J’ai 27 ans, ça fait peut-être trois/quatre ans. Le projet Vision, c’est le vrai basculement. C’était les dernières années de n’importe quoi, parce que j’avais des soucis personnelles, des galères. Depuis 2/3 ans, on a changé de fusil d’épaule, j’ai revu ma façon de penser. J’ai revu mon rapport au temps, même si j’en perds encore énormément. Pour SVAV 1, tu vois, j’ai fait 120 prods, c’est quand même énorme. Pour le 2, chaque prod que tu entends, je les ai faites one-shot, enregistrement one-shot. J’ai atteint un niveau de maitrise, je sais ce que je veux. J’arrivais en studio, j’avais déjà réfléchi à mon délire de prod etc… Maintenant, je réfléchis avant d’aller en studio. SVAV 1, j’étais encore très besogneux : je faisais de la prod jusqu’à avoir la bonne et parce que j’avais une idée un peu vague. J’en faisais une dizaine et c’était la dernière qui était cool. C’est souvent comme ça qu’on fonctionne les artistes. Mais plus ça va, moins j’ai le temps dans ma vie. Et au lieu de me dire « je perds du temps« , je préfère travailler moins, mais passer plus de temps à réfléchir à la démarche. Quand je monte au charbon, je suis décisif. Je suis dans cette mentale-là maintenant.
(+33)RAP – SVAV est donc un projet assez court pour les standards actuels et vis-à-vis de tes anciens projets ?
Esmo – J’aurais tendance à dire que les SVAV sont dans les standards actuels. Les morceaux sont assez courts. 6 morceaux par projet, c’est assez pragmatique. On est encore dans une phase de séduction, d’acquisition. Petit à petit, on commence à sortir la tête de l’eau, c’est beau. On commence à avoir des messages sérieux de structures, de personnes. Mais on est encore en phase d’acquisition : les gens faut les draguer. Dans une époque où les tipeus, les gens qui t’écoutent, ils prennent pas le temps d’écouter l’album entier du gars qu’ils écoutent le plus, je pouvais pas envoyer un long projet. Moi ça me fait chier, je suis un vieux de la vieille, je suis un passionné de musique et j’aime ces formats longs. Mais il faut être pragmatique, les gamins n’écoutent pas les albums. Je suis dans une position où je suis pas encore Drake, je dois les draguer : si je leur pose des gros 15 titres, tu passes pour un prétentieux, comme si les gamins allaient m’écouter. J’ai besoin que les gens s’accrochent, me découvrent, et se disent qu’il y a quelque chose avec moi. Dans quelques projets, quand j’aurais passé quelques caps, je pourrais faire des 10 titres. Les erreurs que j’ai faites jusqu’à pas si longtemps que ça de mettre la charrue avant les bœufs, je ne veux plus la faire.
(+33)RAP – Est-ce que tu sens que c’est le début d’une nouvelle ère avec ce projet ?
Esmo – C’est bon là ! C’est rien, mais c’est bon ! C’est bon dès lors que toi tu sais où tu vas, que t’as compris. Qu’il y a une sorte de synchronicité entre ce que tu as envie de faire et ce que les gens vont apprécier de ce qui émane de toi. Quand tu commences à faire des trucs et que tu as un sentiment d’évidence, c’est que tu commences à rentrer dans le vrai de ta carrière, quand tu n’es plus dans le « petit kiff que tu espères que les gens vont aimer« . Quand j’ai fait Vega Missyl, j’ai ressenti ça. Les morceaux je les ai faits en 2 secondes, les prods elles tabassent, je me suis senti bien dessus, il y a des bonnes rimes, c’est G : c’est ce que j’aime. Il n’y avait pas de question à se poser. Je l’ai produit, mixé et je l’ai balancé sur les plateformes. Les gens ont kiffé, ça a bien tourné. Même si on est pas sur des chiffres invraisemblables, pour le microcosme du rap de Lyon, ça a bien tourné.
(+33)RAP – Battre le fer tant qu’il est chaud ?
Esmo – L’idée c’est de profiter du temps fort. Il y a un petit engouement, les gens commencent à me prendre au sérieux. Il y a des gamins qui m’ont envoyé un message ce matin pour me dire qu’ils m’avaient découvert sur un live du chroniqueur sale. Apparemment il a kiffé le projet, ça fait plaisir. C’est comme l’argent qui fait de l’argent : plus ton projet évolue, plus les gens te prennent au sérieux et sont déter à te faire percer. Je sens qu’on commence à avoir une petite armée. J’ai que des vrais abonnés. Les mecs qui m’ajoutent sur Instagram, je vais leur parler, je leur demande s’ils ont écouté ma musique. C’est presque ubuesque parce que des fois si les gens répondent pas ou que je vois que c’est juste follow pour follow, je leur dis « ça ne sert à rien, ne perds pas ton temps« . Tant que je suis encore à hauteur d’homme, je veux le faire. Les gens, ils écoutent 10 fois ton projet, ils prennent le temps de le partager en story 3 fois dans la journée : ils prennent du temps, même si c’est pas un travail. J’ai de la considération pour ça, parce qu’on fait rien sans ces gens. J’essaye d’engager de la conversation tant que c’est encore possible. Y’a des gens ce sont carrément devenus des potos avec le temps. Certains je leur donne des conseils, je leur apporte des petits trucs sur le mixage…
SVAV et son aspect dénonciateur
(+33)RAP – Dans quel état d’esprit étais-tu pour la création de SVAV ? Comment as-tu pensé à cet aspect politique déguisé ?
Esmo – Après Vega Missyl, qui avait plutôt bien tourné à mon échelle, je voulais continuer l’esthétique, d’avoir un support, un prétexte pour dire, utiliser des images et servir cet univers. Cette idée-là, ce modus operandi de Vega Missyl, il est rassurant enfaite. Il donne de l’épaisseur à ton projet. SVAV, tu as tout un lexique, des images qui se renvoient, qui crée quelque chose de cohérent où tu as juste à écrire, tu es finalement plus libre dans ta contrainte. Tout est parti de ça, et du fait que je me renseigne beaucoup dans la politique et la géopolitique du monde. J’étais dans ce mood post apocalyptique et ce projet était une jonction avec Fall Out qui m’apportait le côté ludique : je n’avais qu’à me mettre au travail. Ma dernière lubie dont je suis fier, le projet Esmizy Volume 1. C’est un projet assez , on ressent un certain manque de maturité artistique avec le recul. C’était mon dernier projet de crise d’ado artistique, en mode « j’aime trop Kanye West » et ces trucs-là, où j’essayais plein de trucs différent, pour tout foutre dans un projet très long et très lourd. J’ai beaucoup tiré d’enseignements de ce projet.
(+33)RAP – Sur SVAV 2, dans une interlude, tu te bats contre un « Fat Man » avec un laser de poche. Pourquoi avoir eu envie de partir aussi loin dans la conception ?
Esmo – Il y a une sorte d’absurdité dans la conception de ces projets. Tu as des interludes qui sont dans cette timeline fantasmée, c’est l’univers du fantastique. A côté de ça, tu as des morceaux qui reprennent des éléments de cet univers-là mais qui sont dans la réalité. Dans SVAV 2, je parle du charbon, de la vie… Toute cette réalité n’existerait pas s’il n’y avait pas une barrière entre l’interlude, l’univers autour, l’univers marrant, et la réalité des morceaux. Dans Fall Out, il y a ce qu’on appelle les « Ghoul« , des humains irradiés après la guerre, des zombies/humains à moitié zombifiés. Il y a eux, les Ghoul et d’autres qu’on peut encore sauver. Dans SVAV, je bute ce truc-là, ce « fat man« , car dans l’histoire le jeux-vidéos ils le font également. C’est aussi un propos par rapport aux gens dans cette société. Il y a une analogie à faire avec tout sur ce projet. Pour l’anecdote, l’histoire de Fall Out, c’est le monde après une guerre nucléaire entre la chine, les Etats-Unis et l’Europe. On est quand même bien ancrés dans le réel. La guerre actuelle est entre les USA et la Chine et la Russie fait tampon. L’Europe en prend aussi plein la gueule parce qu’on a décidé de pas faire les bons choix.
(+33)RAP – Fall Out version Place du Pont : une nouvelle vision de La Guillotière ?
Esmo – Le bruit du métro, le nom d’arrêt « La Guillotière » qu’on peut entendre dans le projet : c’est la jonction entre le support fictionnel du délire et la réalité. C’est le liant. Quelque part je travestis une réalité : l’hostilité entre les gens, le monde en guerre. Je n’oblige pas les gens à s’informer, « heureux sont les simples d’esprit » comme dirait la Bible, ce n’est pas un jugement de valeur car certains vont un choix délibéré de ne pas savoir. Mais j’estime que je préfère connaitre la gueule du gars qui va me trucider. Quand tu comprends que tu es dans un pays qui est gangréné par tout un tas de conflits d’intérêts, que ce même pays qui se trouve dans un contexte général de l’Europe, qui est lui-même gangrené par des chefs d’Etat qui œuvrent dans leur propre intérêt et que des gens continuent de voter pour ces mêmes personnes pour un simulacre de démocratie, que ces gens du peuple vont perdre leur temps à manifester, perdre de l’argent, un bras, un œil pour une cause qui est une diversion… On est dans une société de fusibles : on crée des ennemis artificiels, sur lesquels les gens vont se décharger car leur frustration est légitime, pendant ce temps-là, le monde continue de tourner. On fait du bon sentiment pour la guerre, sur Poutine… Je veux bien, mais la guerre n’arrive pas parce qu’il y a un méchant et un gentil. Ça ne fonctionne pas comme ça la géopolitique. Je vois des choses-là depuis 15 piges. On vit dans un monde qui est en train de se déliter. Tout le délire de SVAV, c’est d’amener cette toucher de gravité-là, qui donne un ancrage tangible au projet, malgré la dimension fictionnelle et surréaliste autour du jeux. Etant donné que je ne suis pas un rappeur obsédé par le biff et toutes ces conneries, j’ai d’autres aspirations, je réfléchis à autre chose. C’est ce que je dis à mes gars. J’ai la chance d’avoir des gars intelligents, cultivés. Même si on ne vient pas des beaux quartiers, on a été bien éduqués, mes parents m’ont bien élevé. On a toujours eu soif de savoir, on est des gars qui parlons de ces sujets, on lit des bouquins. Un jour, avec EGZAGONE, on s’est rendu compte qu’on faisait de la bonne musique, mais les individus que nous étions, cette épaisseur de notre personne, elle n’apparaissait pas dans notre musique. On est passés du rap d’enfant à du rap d’adulte. C’est une notion que je rappelle dans mes projets : « on a passé l’âge de… », « on n’a plus l’âge de… ». On a plus l’âge de ne pas se prendre nous même au sérieux. On est des husslers (s/o marin, NDLR), on charbonne, on a tous monté nos boites.
(+33)RAP – Dans SVAV , tu tranches avec des avis politiques. Quel rapport vois-tu entre la politique et le rap ?
Esmo – On a les rappeurs qu’on mérite comme on a les politiques qu’on mérite. Il y a presque une élection chez les artistes. Il y a un rapport similaire dans le choix des deux, une concomitance. Pendant 3 mois, je te dis que tel candidat c’est le meilleur, que c’est le seul qui va passer au second tour, je paye des sondages et je te fais croire que c’est le meilleur avec 45% d’opinion favorable : tu vas y croire et voter pour lui. En sociologie, on appelle ça la fabrique du consentement. C’est pareil pour les artistes. Tu achètes des vues, des streams, des relais médias, et si tous les jours tu vas à U en rentrant du taff et que tu as une affiche en tête de gondole avec « meilleur produit de l’année » alors qu’en vrai personne ne l’achète pas… À la fin des fins, ça sera le meilleur produit de l’année. Tu as une exposition artificielle qui fait que. Cette action volontaire des politiques ou de l’industrie est puissante. Puis tu as la capacité de discernement des gens, et c’est là où je dis que les gens ont les artistes qu’ils méritent. Car si tu as choisi de mettre des teubés et des gens qui ont rien à leur apporter en artistes de références, bah forcément, les gens ont les artistes qu’ils méritent. J’estime avoir un public, un tant soit peu, éclairé. Je n’ai pas de plaisir à écouter d’autres artistes qui ne racontent rien. Je dis aux gens, « arrêtez de vous maltraiter« .
EGZAGONE, le Youtube Game et les featurings : L’ÉCOSYSTÈME ESMO
(+33)RAP – Comment as-tu évolué avec EGZAGONE ?
Esmo – La démarche de mon équipe, qui s’appelle Egzagone, a commencé il y a 7 ans. On faisait des open-mics, des freestyles, du rap dans la street, on a fait tous les open-mics de la ville à l’époque. Notre truc, c’est cette école-là, le rap qui rappe. On aime le rap qui performe, les rimes, les bons rappeurs, le rap américain, on aime Nas et Jay-Z. On est pas dans un discours ou une esthétique cloisonnée, genre « t’es un drilleur ». Ça veut dire quoi ça ? Même si sur un plan plus cynique, quand tu développes ta carrière, on te met une étiquette, c’est aussi que sur le plan business, tu as réussi ton marketing. Mais nous on n’a jamais voulu s’enfermer, se mettre dans un truc. Je pense que les drilleurs, ils ont aussi saisi une fenêtre d’opportunité. Nous on a pas pris le même train que les autres. On essayait d’avoir nos propres trucs, de mixer nos morceaux tous seuls, nos propres prods, de charbonner pour se payer un vrai matos de studio, on a fait aussi beaucoup de scènes. Là on commence à sortir la tête de l’eau et avoir une petite visibilité.
(+33)RAP – Ry’s et EGZAGONE font partie intégrante du projet. Quelle importance cela avait pour toi de les avoir et comment évolue le crew EGZAGONE ?
Esmo – Ry’s, c’est un frérot de mon équipe, qui fait partie d’Egzagone. J’ai tout appris avec eux, on a freestylé ensemble, on a charbonné. On est passé d’une vie de jeunes qui fument du shit et qui font du rap ensemble H24 à des hommes responsables qui ont une famille. On a eu ce changement-là qui s’est opéré et des gens sont partis très tôt. Il y a des frérots qui étaient là au tout début qu’ils ne sont même pas sur nos premiers « Pussycut » et « Souplesse« . Ça s’est vite réduit. Au fur et à mesure on a eu des vies différentes, des agendas différents. Ça s’est réduit et on a dû faire un choix, on a assez naturellement réussi à se dire qu’EGZAGONE, c’était comme une locomotive. Mais que pour que la locomotive avance, qu’il faut que tout le monde avance en même temps, ça devenait presque un frein. Tu as des gens comme RY’s, Kamar (des membres d’ EGZAGONE, NDLR) ou moi qui avions envie de continuer ce truc, des ambitions en solo dès le départ. On a toujours eu une envie de produire notre musique dès le début. À un moment donné on est juste partis dans notre propre chemin. Ce sont ces mecs-là, ces frérots qui m’ont appris à rapper. À la base, je suis musicien moi. J’ai appris à rapper avec eux. Je suis très humble vis-à-vis de ça.
(+33)RAP – OKIS, est également sur le projet SVAV 2. Pourquoi et comment ça s’est fait ?
Esmo – Dans le rap, tout le monde se connait. Je ne le connaissais pas personnellement mais je connaissais mon gars Maxie qui le connaissait, qui m’a fait écouter ses trucs, notamment le projet OK. Okis voyait qui on était. Moi, il n’y a pas de chichi. On est de la même ville, tu as beau être Maitre Gims, si j’aime bien ce que tu fais, je vais te le dire, t’envoyer un message. J’ai bossé naturellement avec Tedax, un gars de mon quartier… Ça faisait un moment que je voulais contacter Okis, juste pour le big up, en mode « on se sait, tu me connais, je te connais« , je suis humble et je n’ai pas d’égo. Je lui ai envoyé un message qu’on puisse se croiser sur un événement et qu’on se capterait. En finalisant le projet SVAV 2, je suis arrivé sur le dernier morceau et je voyais bien OKIS dessus. Un peu comme une bonne conclusion ouverte sur une dissertation de philosophie. Conclusion ouverte car ce morceau peut donner la couleur du prochain SVAV.
(+33)RAP – Tu es présent sur le récent projet de Mario Roudil, 23MEGASPHERE. Vous êtes souvent rangés dans la case de rappeurs de YouTube, notamment par votre proximité avec Le Règlement. Comment vois-tu cela ?
Esmo – Moi je rencontre des gens. Le Règlement on s’est rencontré il y a 3 ans, pour le tournage d’un feat entre Richi et Youri sur le morceau « Chorale« . J’étais venu parce que Richi c’était mon gars, on avait déjà posé sur des featurings ensemble. J’ai rencontré Mario et le Règlement, on s’est branché et on a passé la journée ensemble. Tout a été une succession d’événements où on s’est croisé, on s’est revu. Mario a commencé à bosser avec le Règlement, lui nous a fait l’amitié de nous inviter plusieurs fois sur des trucs comme le Règlement Radio, les freestyles. On a commencé à mixer des trucs pour des parties de ses vidéos. De fil en aiguille, on a rencontré de plus en plus de monde. Ça va aussi avec l’avancée de tout notre groupe d’amis dans les contacts. Aujourd’hui, nos carnets d’adresse, tu délires ! Même si c’est pas pour autant qu’on est à New York avec Jay-Z. Au fur et à mesure, on rencontre des gens. On nous parle du Règlement, de gros noms, mais ce sont juste des instants de nos vies où on se retrouve dans une pièce avec ce gars, et il y a une sorte d’évidence presque métaphysique : on est juste des humains. Ça marche, tant mieux, sinon tant pis. Le Règlement c’est un putain de bon gars. Puis, il y a eu le freestyle dans le stade de foot. On a pas mal réfléchi à le faire, parce que quand on nous propose ça, on voit une exposition importante, une question d’image. Mais il y a aussi l’envie de se faire plaisir. Quand tu calcules tout ça, tu te dis « ça va être un moment cool avec les potos« , on se dénature pas en faisant ça. C’est moi qui ai fait la prod du morceau et on rappe tous dessus. On l’a fait, c’est tout. Patrick Bruel quand il sort son album, il va chez Druker. Nous c’est pareil, ce sont des patterns. Nekfeu qui feat avec Mister V sur Vine à l’époque, c’est comme Bruel qui va chez Druker parce que c’est le média, le relais. Et encore, je pense que Nekfeu c’est moins calculé, c’est une connexion beaucoup plus humaine. Quand tu vois Mario Roudil avec Inoxtag, Kerchak, Michou… C’est naturel. Tu te retrouves là-bas et tu rencontres des gens, c’est cool. Il n’y a pas spécialement de calcul à ce niveau-là.
(+33)RAP – Qui est ton public après toutes ces années de rap ?
Esmo – Le public de Lyon, c’est de moins en moins mon public. J’ai des mecs de Québec qui m’envoient des messages, je sens que ça commence à prendre de l’ampleur. On a toujours eu une audience qualifiée avec Egzagone. Une validation, soit par des rappeurs qu’on aimait, soit des beatmakeurs ou des ingénieurs du son… On a très vite ou des biais de validation et on a été pris au sérieux, même si on n’a jamais eu le volume. Tu as des gens importants, mais peu nombreux. J’ai eu la chance de rencontrer des gens importants qui m’ont beaucoup apporté comme mon frérot Luxe, qui m’a et qui continue de m’apporter sur cette culture. Il était sur le SVAV 1 et il sera sur SVAV 3.
Les dessous d’un projet auto-produit
(+33)RAP – Sur un projet comme SVAV, on sent que le mix et le sound desgin ont été long. Comment l’as-tu travaillé indépendamment de l’aspect purement musical ?
Esmo – C’est pareil. On ne veut pas perdre de temps, ce que je fais maintenant c’est que je mixe tout au fil du temps. Je ne perds pas de temps. J’ai arrêté la drogue, donc ça me laisse pas mal d’espace de cerveau et j’invite tous les gens qui vont lire cet article à faire de même (rires). J’ai réfléchi et j’avais déjà en tête ce que j’allais mettre sur le projet. Maintenant, je procède comment ? Sur SVAV 2, j’ai eu que des évidences, dès que ma prod était terminée, je la mixais. Ce que tu fais maintenant, tu ne le ferras pas après. C’est ce que j’ai compris en étant dans le vrai charbon à côté de la musique. Ça change la qualité-même de ce que tu enregistres toi par-dessus après : si tu enregistres sur un prod qui pète, qui explose de partout à +35db, la façon que tu vas avoir d’enregistrer le morceau va être conditionné par ça. Toi tu vas t’entendre dans le casque avec une prod qui pète et le rendu de ta voix qui va être biaisé. Je suis un ingé sur le tard. J’ai eu un business de studio avec Marka et notre business c’était vraiment de travailler avec tous les mecs de Lyon qui n’avaient pas une thune. On a mixé des centaines de projets, c’est comme ça qu’on s’est fait la main, on a un peu d’expérience, mais on n’a pas fait d’école d’ingénieur.
(+33)RAP – Comment as-tu travaillé le mix sur ce projet ?
Esmo – J’ai tout fait avec du Sound Design. À chaque fois, tes ambitions te poussent à apprendre de nouvelles choses. Quand tu écoutes Esmizy Volume 1, qui est un projet ambitieux dont je suis fier mais qui est un peu imparfait, il y a des chorales des instruments desquels j’ai joué en live. J’avais un vieux maitre qui avait remixé une phrase de Machiavel « la fin justifie les moyens« . La nouvelle phrase disait « qui veut le faim, veut les moyens« . Si tu désires être Ronaldo, il faut désirer les moyens d’être Ronaldo. Je me suis buté à Sound Design, mais si ce n’est peut-être pas incroyable selon un pro. Mais c’est suffisamment crédible pour que dans un son de peura ça soit cool. Je me suis buté, c’est de l’artisanat.
(+33)RAP – Quel est ton rapport au rap aujourd’hui ?
Esmo – Quand j’écoute un rappeur, j’adore être dans le cerveau de quelqu’un. Dans la nouvelle génération, je n’étais pas du tout branché, j’étais très cainri, New York. J’ai découvert H Jeune Crack, je me suis dit « c’est quoi ça encore« . Puis, j’ai écouté plusieurs projets, je suis un grand sportif et j’ai tout écouté. Je me suis dit : c’est ça que j’aime quand j’écoute un projet de rap, j’ai l’impression d’être dans la tête d’un rappeur, d’un humain. Il dit des trucs que seul lui peut dire, des perceptions, des blagues, des jeux de mots, une phase anodine qui traduit « comment il perçoit le monde« . Quand tu écoutes les rappeurs, t’as l’impression d’avoir des panneaux publicitaires, avec que des idées préconçues, stéréotypables à la mort. Si moi, l’univers transpire par dans la musique du gars, j’écoute Niska quoi. Ce n’est pas une critique, mais c’est très générique.
(+33)RAP – Sur SVAV 2, tu utilises un flow à la limite du chuchottement, comme sur le morceau « La miette » ou même sur « Question de Time« . D’où c’est venu ?
Esmo – J’ai réfléchi à une forme d’homogénéité. D’où le fait de bien vouloir mixer mes prods. C’est un délire ce chuchotement. J’ai toujours eu une façon de rapper comme on dit « scander« , assez fort. Ça ne ressemblait pas à qui j’étais dans la vraie vie et les gens me le disaient. Dans cette logique de représenter qui on est par la musique, je ne voulais pas raconter les mêmes choses qu’il y a 5 ans, donc je voulais pas poser comme un adolescent. Quand Alpha arrive sur Ralph Lauren 2, avant ça, il rappait comme Ill ou Dany Dan. Mais sur le morceau « Protocole », ça devient un adulte : pas de fioriture, une voix posée sans excès. C’est là que tu vois la maturité. Moi, je l’ai compris sur le projet Vega Missyl. Comme je dis dans un de mes morceaux : « je n’ai plus besoin de forcer pour les mettre d’accord« . Quelque part, en ne cherchant plus la surinterprétation, tu es plus sincère. Ça fait partie des choix que tu fais dans ta vie. Quand tu arrives à un certain âge et que ça ne marche pas, il faut changer quelque chose.
(+33)RAP – Comment envisages-tu la suite. Déjà tourné sur SVAV 3 ?
Esmo – Je vais rester dans le même processus créatif, en essayant d’apporter quelque chose en plus. Mon but enfaite, c’est de toujours avoir un apport. SVAV 1 j’ai posé un univers très sec, c’était du rap sans fioriture. Sur SVAV 2 j’ai évolué un peu, comme avec le morceau « Question de Time ». J’ai fait des projets entiers avec ce genre de morceau à côté, que j’ai balancé à mes frérots, limite R&B qui n’a rien à voir avec SVAV. Il y a beaucoup de déchêts à côté. Avant, je sortais 2 projets par an, mais j’en produisais une dizaine. Je sais faire ces trucs-là, mais il y a un choix de ligne éditoriale. Je suis dans une logique maintenant, d’être digeste, d’y aller étape par étape : balancer un projet et lancer un univers, où je leur rappelle mon école rap. 2ème niveau, je fais un peu de mélodie, mais il faut ménager les gens. Il faut être ergonomique aussi.
Avant SVAV 3 il y aura un autre projet. C’est ce que je voulais faire entre le SVAV 1 et le 2, une sorte de « supplément », mais j’ai décidé que ce n’était pas le bon moment. Pour ce projet intermédiaire, il y aura surement des collaborations pour les prods, même si c’est très compliqué pour moi de déléguer cela. Je voudrais envoyer du visuel aussi.
Commentaires
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sYLVAIN
Très interessant. Je découvre un peu plus l’artiste avec cette interview aux questions pertinentes. Celà corrobore avec son oeuvre et donne encore plus envie de s’investir dans l’écoute de cet artiste talentueux. Merci pour cet investissement . Je découvre ce site seulement aujourd’hui et je suis bien content de l’avoir trouvé car ça va etre un très bon copain . Je me suis donc abonné au compte insta et à la chaîne youtube. Maxi Combo. Force et longue Vie pour la suite de votre média.