Cyrious, rappeur conscient de ce qu’il est
Cyrious est un rappeur lyonnais de trente ans. Après avoir fait ses armes dans de nombreux tremplins de la région Rhône-alpine afin d’imposer son univers, le pur produit de la ville fait aujourd’hui office de référence en matière de rap. Une image qui fait débat et qui le positionne entre les artistes qui veulent éclater les frontières de la musique et l’industrie qui tente encore de (re)définir les genres et les playlists. Portrait d’un rappeur, le micro entre 2 scènes.
Cyrious, de son vrai prénom Cyril Thérèse, est un rappeur lyonnais. L’expression semble courante : « rappeur lyonnais ». Pourtant, Cyril est de ceux qui se sont cassés les dents sur ces deux mots. C’est dans cette ville, sa ville, que nous l’avons rencontré une après-midi du mois de mai afin de discuter de sa -déjà- longue carrière.
Du rap dans la ville Lumière
C’est par sa sœur qu’il découvre le genre musical. « ma maitresse du Hip-Hop » nous explique-t-il, assis sur un banc dans le quartier de l’Hôtel-de-Ville de Lyon. Il grandit dans le 8ème arrondissement de la ville, chargée d’histoires, à quelques mètres de l’endroit où les frères Lumière inventèrent le cinéma. C’est ici qu’il va commencer à se plonger dans l’univers du rap. La musique est déjà une affaire de famille : son grand-père, notamment, est jazzman. Pour Cyril, ce sera plus les groupes marseillais de la Fonky Family et IAM qui vont éduquer son oreille. C’est sur Skyrock que ce jeune auditeur va écouter les premiers freestyles de ses futurs compères rappeurs : « à la fin des années 90, début 2000, ce que beaucoup ont appelé ‘l’âge d’or du Hip-Hop’, j’allais rejoindre ma sœur dans sa chambre écouter les freestyles et les morceaux exclusifs sur Skyrock. On écoutait tous les deux avec des écouteurs, il fallait qu’on reste discrets car les parents ne devaient pas savoir qu’on était encore debout », se remémore le trentenaire sourire aux lèvres, avec un brin de nostalgie. En plus de la radio, Cyril consomme le Hip-hop via la télé. Il ne décroche pas de l’écran familial où est diffusée l’émission « America’s Best Dance Crew ». Le jeune homme âgé d’à peine dix ans reproduit les mouvements des break-danseurs d’outre-Atlantique au milieu du salon. Soutenu par sa famille, y compris par un grand-père « en boycott du rap, mais qui comprenait que ça fasse sens pour nous », il se lance dans le breakdance avec passion et discipline. Accompagné de son ami Sanders, il danse dans « des premières parties pour des groupes de JAZZ, notamment celui de (s)on grand-père. J’ai aussi écumé les galas de danse de fin d’année, des mariages, des anniversaires de mes 7/8 ans jusqu’à mes 15 ans ».
Son premier concert sur du Oxmo’
À l’approche de ses 16 ans et malgré la discipline qu’il s’impose, Cyril fait face à une grave blessure qui l’éloigne quelque temps des podiums. Pour autant, il ne renonce pas à faire usage de son corps et s’improvise chanteur, l’espace d’un soir. « J’étais censé jouer mais impossible. J’ai décidé de reprendre à la voix le titre sur lequel je devais danser. C’était un morceau d’Oxmo. J’étais refait, même si je devais surement rapper complètement à côté ». Sa vie bascule. Il attrape le virus du rap et contamine par la même occasion ses amis : « C’est là où on se met à faire des battles avec mon pote avec qui je dansais à l’époque et mon autre pote Nasser du lycée. Chacun écrivait ses meilleures punchlines et à la recrée on balançait tout ce qu’on avait en a cappella». Cet adolescent en construction se crée, dans son rap, un refuge et un moyen d’expression dans lesquels il ne s’était jamais senti aussi bien. Plutôt à l’aise avec son corps de par la danse, il commence enfin à jouer avec les mots pour vaincre sa timidité naturelle : « Je restais longtemps dans ma chambre où je faisais de nombreux freestyles que je posais toujours quand j’étais désenivré. J’étais gêné de devoir le poser devant les autres… Le chemin, le temps d’accepter, il a été long avant de conclure car comparé à la danse, c’est autre chose de prendre le micro et d’assumer ses écrits ».
À la fin des cours au lycée ou le soir lorsqu’il sort, Cyril se met à fréquenter les groupes de rap lyonnais en place à l’époque. De grandes nébuleuses se forment et se retrouvent dans un seul but : kicker. Le jeune étudiant doit rapidement mettre en pratique la théorie qu’il a apprise dans sa chambre depuis toutes ces années : « On me pousse à prendre le mic, à ‘sortir de ma chambre’ et à faire les choses, à aller dans des open-mics. J’ai eu ma période punchlines, Rap Contenders. Mais très vite, mes influences étaient plus portées sur du texte ». Pour parachever son introduction dans le rap, le MC doit trouver son blaze : ce sera Cyrious. Le nom évoque l’étoile du berger la plus brillante du ciel et un savant mélange de ‘Cyril’ et de ses textes sérieux, comprenez ‘serious’ en anglais. Cyrious, un mélange de tous les univers.
L’exception qui confirme la règle
Si ses débuts semblent assez classiques dans le rap game, n’oublions pas de resituer le contexte : Lyon au début des années 2010. La ville est orpheline de son héros local : Casus Belli qui a raccroché les gants depuis peu et le crew l’Animalerie rappe depuis déjà quelque temps de manière très underground. L’industrie du rap est au plus bas. C’est à ce moment-là que Cyril entame son cursus rapologique. Mais l’étudiant n’a pas mis tous ses œufs dans le même panier et, après un bac STG au lycée Edouard Herriot dans le 6ème arrondissement, il se dirige rapidement vers une filière économique. Il devient expert en gestion de comptabilité et envisage le rap comme une passion du dimanche. Quelque temps plus tard, l’envie de vraiment reprendre le micro s’impose à lui. Il envisage de quitter les bureaux poussiéreux dans lesquels il travaille depuis quelques années afin de vivre de sa passion. Il tape à la porte de lieux qui proposent des open-mics sur Lyon. « Très vite, je m’oriente vers des salles de spectacles. Celles qui m’ouvrent leurs portes ce sont notamment À Thou Bout d’Chant, dans le 4ème arrondissement, qui propose de la chanson à texte. Il y a la MJC Vieux-Lyon, dans la salle Léo Ferret également. Tout en gardant mon univers rap, je traine rapidement avec des gens qui font plus de la chanson. Mon premier rapport au milieu professionnel c’est surtout des gens qui font de la chanson, accompagnés en guitare-voix. C’est pour ça que je fais la même chose, et qu’on le ressent dans mon premier projet ». S’en suit donc la sortie du projet Changement Imminent, son premier EP acoustique, où Cyrious dévoile un rap touchant sous fond de productions instrumentalisées : dès lors, il se positionne comme ‘différent’ des standards. À une époque où le rap est davantage électronique et où tout se fait sur machine, le Lyonnais dévoile un projet de 7 titres où l’humain est au centre de sa musique. « On me disait que j’avais une influence qui pouvait être tournée chanson-reggae, donc pourquoi se fermer qu’au rap ? On m’ouvre les portes des salles de chansons françaises et on me fait accéder à des lieux où il n’y a pas forcément de rap : autant en profiter ! ».
Détermination, Discipline, Travail
En plus de ses premiers projets, Cyrious décide d’investir en masse les scènes et les tremplins : Plan B à Bizarre Vénissieux , « avant-scène » avec les MJC de Lyon, le tremplin «À Thou Bout d’Chant», « trampolinO », « le tremplin kiwi », le Ninkasi Music Lab… Il fait littéralement tous les concours qui acceptent son travail et sillonne les différentes scènes de la région, en passant même par un dispositif à Vincennes. C’est ainsi qu’il va être vu comme le rappeur, le travailleur, l’homme qui n’a peur de rien. Entre les autres genres musicaux : techno, pop, rock alternatif, punk… Cyrious devient le représentant rap dans ces concours ouverts à tous, non sans ressentir une petite chappe de plomb lui tomber dessus. Il développe : « d’un côté je suis trop rap pour la chanson et de l’autre côté trop chanson pour le rap. Au début je ne comprenais pas, j’entendais qu’on parlait de moi, j’entendais des échos d’artistes qui disaient que je n’étais pas un ‘vrai rappeur’ alors que de la part de salles de concerts, on m’a étiqueté ‘rappeur’ parce que je kickais. Une fois, on m’a dit que j’étais le ‘bon client’ : un tissmé qui fait du rap ‘censé’ quoi… Ça a mis un peu de temps, mais maintenant j’assume ! ». Avec cette étiquette du ‘rappeur de la compétition’, il porte sur ces épaules le poids de la représentativité. Il doit parler au nom de tout le rap. De Lyon ou de France. Il en devient, sans le vouloir, sa figure et doit composer au milieu d’un éclectisme musical fondateur pour la suite de sa carrière : « on me sollicite aujourd’hui comme ‘le rappeur’ car avec le temps, le travail et la faim, je l’ai fait. Je me suis toujours fait clasher par les gars du rap à Lyon. Je me suis dit dans ma tête ‘bougez pas les gars, je vais revenir plus fort’. Comme ma musique ce n’était aucun type de musique en particulier, j’ai décidé de toucher à tout. Ca a fait que j’ai rencontré plein de belles mouvances. Ça me permet d’avoir un œil sur tout, en 360 degrés ».
« Tu ne célèbres jamais les petites choses »
Récompensé par son travail, Cyrious, a par la suite, été invité sur les plateaux de France 3, la scène du festival Jazz à Vienne, celui des Nuits de Fourvière, ou encore du Hip-Hop Symphonique version lyonnaise. Une certaine récompense et une légitimisation de son parcours qui arrivent après 10 ans de carrière, au moment où il a tout misé sur la musique et non sans difficultés : « il y a un jour où je broyais du noir et où j’ai appelé l’Officier Zen (rappeur de Lyon proche de Cyrious, NDLR) en lui disant que je voulais tout arrêter. J’avais tout fait pour avoir mon intermittence du spectacle et j’ai appris que mon dossier n’avait pas été pris pour des faits qui n’étaient pas de mon ressort. Je l’ai donc appelé et il m’a dit ‘Nuits de Fourvière, LY Symphonique, le Woodstower… Même l’Animalerie, même Casus Belli ils ne l’ont pas fait à Lyon. Sois fier de toi, t’inquiète ça va le faire’. C’est depuis cet appel-là que j’ai réalisé. Tu es tellement tout le temps la tête dans le guidon, que tu ne te rends jamais compte, tu ne célèbres jamais les petites choses ». Pour vivre de la musique, Cyrious a donc décidé de vivre de l’intermittence du spectacle, une forme de sécurité dans un milieu artistique toujours plus incertain. Il était nécessaire de s’impliquer entièrement pour espérer prospérer : « en 2019, j’ai failli arrêter la musique. Je cumulais des taffs alimentaires comme beaucoup d’artistes alors que j’avais des diplômes où je pouvais bosser dans des bureaux, mais je n’y arrivais plus. Sur la fin, j’ai bossé pendant 3 ans dans le déménagement ». Il peut aujourd’hui vivre de son art et s’y consacrer à 100%. « L’intermittence, c’est ce qui m’a permis de lâcher mon taff à côté de la musique. Tu dois faire un nombre d’heures, de cachets, et tu cotises pour avoir un revenu minimum ».
Producteur et accompagnant
Aujourd’hui, le projet Cyrious est sur orbite. L’artiste est récemment parti en Amérique du Nord quelques semaines dans l’objectif de développer sa musique et toucher un nouveau public. Cet artiste à réseau ne voit de frontière ni dans ses sons, ni dans les moyens de les promouvoir. Il devient presque l’homme qu’on appelle pour comprendre le rap en France mais surtout à Lyon, une ville qu’il définit comme « la plus boycottée par Skyrock ». Un rôle qu’il assume aujourd’hui et qui lui donne un véritable pouvoir de producteur. Son « futur métier » selon lui qui atteste de la bonne santé du rap lyonnais : « J’aimerais bien, mais plus tard. Ce qui me motive c’est de voir qu’il y a une relève à aider. Je ne fais pas de la musique pour être programmé à tel endroit ou avoir un NRJ Music Award. Ça m’intéresse peu. Je ne dis pas que je ne veux pas que ça m’arrive. Mais je préfère faire passer mon message et partager des choses. Je m’en fous qu’il n’y ait pas ma tête sur l’affiche. Si je sais que le message c’est peut-être l’artiste El Bobby qui peut le porter ou son collectif du Plan A, alors c’est bon ! ». Le Plan A est un collectif lyonnais qui développe de nombreux projets : albums, scènes et événements en tous genres à Lyon. C’est grâce à ce nouveau wagon du rap lyonnais que Cyrious est revenu au cœur de la locomotive. Sa rencontre a été déterminante pour le rappeur : « Avant de rencontrer El Bobby, Loupio, Chef Kanaga, Novopol et tout le Plan A, je n’avais jamais trouvé des gens qui assumaient autant de ne pas être catégorisés, ni comme rappeur ni comme chanteur. De base, cette équipe n’est pas trop ma génération, mais c’est vraiment avec eux que j’ai trouvé mes acolytes ».
Toujours un œil sur l’industrie locale
Armé de son expérience et d’ambitions pour de futurs projets à mener, Cyrious se sent désormais prêt à accompagner cette nouvelle génération d’artistes bercée d’espoirs. Loin de lui l’envie de quitter la réalité du terrain lyonnais pour fuir vers la capitale où il aurait pourtant plus de chances de ‘percer’ ; Cyrious reste ancré dans son Lyon natal et s’implique plus que jamais. Pour preuve, il est désormais ambassadeur de la SACEM ici. La Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique a ouvert son antenne lyonnaise au rappeur pour instaurer un dialogue avec le ‘rap de chez lui’. Un grand pas dans la compréhension des autres est en train d’être effectué selon l’artiste du 8ème arrondissement : « j’ai été sélectionné pour être ambassadeur de la SACEM, afin de la promouvoir auprès des artistes. Ça me plait car ça va avec mon côté producteur et ce côté comptable de formation que je suis. Je n’ai pas peur de ce côté administratif. Mon rôle c’est d’expliquer les droits des artistes, comprendre l’argent auquel ils ont le droit, comment venir le chercher… ». Même si cela peut renforcer une fois de plus la défiance d’autres artistes à Lyon qui le verraient comme en copinage avec les institutions, Cyrious le fait avant tout « pour ouvrir les portes aux autres. Je veux qu’on professionnalise le rap game lyonnais et ça passe par la venue des structures qui vont avec. Si je me dis qu’il n’y a pas un gars qui parle avec l’antenne de la SACEM de Lyon alors qu’on est la 2ème délégation française en termes de subvention, l’argent va partir, comme d’habitude, dans les autres genres musicaux… ». Le rappeur qui réalise des ateliers d’écriture en prison a lui d’autres fins pour ‘cet argent’ : « on pourrait ouvrir un grand studio à Lyon et ramener la famille du Hip-Hop ». Utopique ou visionnaire ? Seul le temps lui donnera raison.